On dit : l'amour rend aveugle, et quand il disparaît on voit la réalité. En fait, la cécité existe au début, pendant, après. L'épreuve des photos avait été instructive : le regard qui, posé sur nous-mêmes, croit se souvenir et nous juge a posteriori, se trompe tout autant lorsqu'il se penche sur telle ou telle relation du passé. Après l'amour, on déforme au moins autant qu'au début. On enterre sous de nouvelles idoles les anciennes divinités, exactement comme le faisaient les religions lorsqu'elles construisaient, au-dessus d'une église vaincue par les armes une mosquée, puis à nouveau une église, ou inversement. En nous les amours - comme à Cordoue, lorsqu'on marche dans un dédale de piliers hétéroclites - se croisent, se toisent, et finissent par s'entremêler en un espace unique et étrange. Dans son nouveau recueil de nouvelles, Adriana Langer se confronte aux multiples facettes de nos vies, reflets de l'exceptionnel ou du quotidien, éclats de joies ou de peines, de rencontres et d'adieux, et de l'art qui nous émeut, nous soutient. Elle déploie pour cela toutes les nuances de sa palette, sensible, lucide, délicate et précise.
Avec ce recueil de nouvelles, vous êtes comme le visiteur privilégié d'une exposition privée et permanente, où seraient rassemblés vingt tableaux de peinture hollandaise du dix-septième siècle. Chacun concentre et recrée une situation, une émotion, un désir ou un rêve, dans un instant suspendu, mystérieux et pourtant limpide, pris dans l'éternité de sa propre lumière.
Adriana Langer se consacre depuis des années à cet art si particulier de la nouvelle. Par son écriture précise et tendre, nous découvrons un monde, proche et pourtant inconnu. De l'amour et de la vie, pleine ou ténue, charnelle ou éthérée, obstinée à trouver son chemin ; ses thèmes sont ceux de chacun d'entre nous, aimer et vivre, encore et malgré tout.
« Aude se concentrait sur les explications que l'interne donnait à l'intention des externes - bilans sanguins et urinaires, échographies, scanners, traitements - jusqu'à ce qu'elle pose les yeux sur une patiente, assise les jambes pendantes. L'anémie combinée à l'insuffisance rénale donnait à sa peau épaisse, ridée, un teint à la fois pâle et grisâtre. Sa petite taille accentuée par ce dos courbé, son visage d'où toute féminité s'est retirée, sa robe brun foncé usée : cette menue poche d'ombre dans la chambre éclairée, parmi les jeunes médecins en blouse blanche, conférant debout, sérieux et sereins, lui évoquait soudain un vieillard de Rembrandt, égaré dans un clair-obscur trop explicite. Alors son esprit - tantôt distant, analytique - se métamorphosait. » Dans ce court roman, nous suivons Aude, une étudiante en médecine, qui s'efforce de conjuguer un regard scientifique en formation avec un autre regard, intuitif et sensible, qu'elle développe à travers la peinture.
Adriana Langer, radiologue, spécialiste du cancer du sein, est passionnée d'écriture. Elle nous offre la possibilité unique de partager son regard de praticienne face à la douleur, aux maladies et à la mort, à travers la précision sensible et la délicatesse de son écriture. Le voyage qu'elle nous propose, au gré de ses nouvelles, est celui de nos vies, confrontées aux troubles du corps et à l'injustice irréductible de la guérison ou de la mort. Il s'agit de textes littéraires, intenses ou légers, drôles ou terribles, mais toujours respectueux et sans apitoiement. Vingt-deux nouvelles sur des sujets graves (maladie, vieillissement) ou plus légers (presbytie, timidité), traités avec sensibilité, respect, profondeur, tendresse et parfois même humour. La dernière et la plus longue de ces nouvelles, "La maladie du médecin", décrit l'évolution d'un médecin qui apprend qu'il est atteint d'un cancer incurable : ses réactions en tant qu'homme, mais aussi en tant que médecin confronté à la maladie, qu'il croyait connaître et qu'il découvre réellement pour la première fois.