De quel côté se trouve la mosaïque ? Est-elle d'Orient ou d'Occident ? Vaines catégories qui ne disent rien de notre monde intermédiaire, de notre entre-deux-mondes...
Les volutes tressées révèlent au ciel un tapis de sol. Elles bordent chaque carré, rigoureusement tracé en ses limites. C'est à l'intérieur que tout se passe, que les rosaces rencontrent des triangles et des ellipses, des demi-cercles et des étoiles qui parviennent, en leurs jeux incessants, à figurer l'infini. Immobiles, les mosaïques créent un mouvement que la mer accompagne, vague après vague, mouvement permanent que rien ne semble pouvoir arrêter, pas même l'impatience du jour.
Est-il possible, est-il seulement imaginable de faire le portrait dun paysage, comme on le ferait dun autre être vivant? Un portrait rendant compte à la fois de linstant dans le temps, et de tous les signes laissés par le temps vécu, et peut-être aussi des attentes, des espoirs, des craintes pour le temps à venir? Le paysage est le plus souvent, dans lhistoire de la photographie, sujet dartérialisation, objet théâtralisé, montré comme un état, un arrangement des choses. Or le paysage est vivant, même si ses mouvements sont le plus souvent subreptices, ou très lents, au rythme de la pousse des arbres, du changement de couleur dun crépi. Nous avons besoin détapes, c'est-à-dire dinstantanés successifs, pour comprendre comment grandissent les enfants, comment nous vieillissons. Il nous les faut aussi pour constater ce que le temps est en train de faire du paysage, et surtout de celui que nous voyons tous les jours. Ce qui est montré ici, ce sont des portraits de paysages du Ventoux, des Dentelles.... Tels quils sont aujourdhui (.). Tels quils sont devenus (.).
Tels que nous voudrions quils demeurent ou quils deviennent.
Alain Ceccaroli travaille sur des espaces monumentaux : cités antiques, villes militaires réhabilitées en lieux de vie et de culture, zones ravagées par les guerres.
Confronté à cette symbolique forte, c'est pourtant une quête de l'ordinaire qu'a entrepris l'artiste. Pour absorber la beauté ou la tragédie des lieux, en Bosnie, à Athènes ou à Alep, il s'est adonné à une observation intense et prolongée du monde, gommant la démesure et choisissant la nuit qui révèle l'imperceptible et écarte l'anecdote.
Ses « pauses photographiques », auxquelles font écho les textes de Jean Arrouye et de Pedrag Matvejevitch, ne se veulent pas narratives. Elles interrogent le réel et particulièrement la perception d'un glissement de l'extraordinaire aux « formes de l'ordinaire ».
Dans le cadre d'une commande du musée départemental de Gap (Hautes Alpes), le photographe Alain Ceccaroli a réalisé des images d'un arbre particulier, appartenant à une espèce très menacée, le Genévrier thurifère ou Genévrier à encens (Juniperus thurifera). Ce petit arbuste est de la famille des cupressacées. Il est extrêmement photogénique en raison de ses matières (bois résineux) et de ses formes très variées, tourmentées ou foisonnantes, compactes ou élancées.
Objet à la fois artistique et documentaire, le « portrait » du Genévrier thurifère (ici considéré comme un être vivant) présente un ensemble très construit entre "dit de la nuit" et "l'arbre en plein jour" en un nombre équivalent de photographies (20) pour chacune des deux parties, comme les deux moments du temps photographique, du négatif au positif.
Une grande part du travail d'Alain Ceccaroli a pour sujet la nuit et la "part de l'ombre" comme essence même de l'acte photographique. Dans des temps de pose très longs (on perçoit sur les images le trajet des étoiles) il enregistre de manière très précise les détails des matières afin de traduire les lignes et les tourments de cet arbuste qui s'inscrit lui aussi dans une très longue durée.
Ce livre entend faire le portrait sensible d'un arbre. Avec un point de vue à la fois strictement documentaire et frontal, (les photographies de jour) et un point de vue imaginaire et cosmique (les photographies de nuit), Alain Ceccaroli a donné vie et mouvement à cet arbre extrêmement sympathique (il manquera évidemment l'odeur à ce livre qu'on perçoit cependant par le mot "encens" de son titre qui reprend le "surnom" donné au genévrier thurifère !), de très grande vitalité et longévité. Cela contribuera à mieux le faire connaître et respecter car il est actuellement menacé de disparition pour des raisons liées à l'histoire de ses territoires. De fait cet arbre fait l'objet de toutes les attentions.