La phénoménologie qui s'élabore dans les Ideen est incontestablement un idéalisme, et même un idéalisme transcendantal ; le terme même n'est pas dans les Ideen alors qu'il se rencontre dans des inédits antérieurs. C'est dire que les commentateurs s'accordent à regrouper autour de ce mot les analyses les plus importantes de l'ouvrage. Finalement la «conscience pure», la «conscience transcendantale», l'«être absolu de la conscience», la «conscience donatrice originaire», sont des titres pour une conscience qui oscille entre plusieurs niveaux ou, si l'on veut, qui est décrite à des phases différentes de son ascèse : de là les erreurs d'interprétation dont Husserl s'est plaint si constamment et si amèrement.
Le livre I des Idées directrices pour une phénoménologie pure de Edmund Husserl est l'un des cinq ou six textes de philosophie les plus importants du XXe siècle - et de notre temps par conséquent.
C'est, en effet, le texte fondateur de la phénoménologie : Pour la première fois depuis « l'ouvrage de percée » qu'avaient été ses Recherches logiques (1901), Husserl établit ici, au terme d'une évolution décisive, les principes et les méthodes qui rendent possible une science nouvelle, la science descriptive pure des structures de la conscience, la phénoménologie transcendantale.
En révélant les lois implicites de la vie intentionnelle et le pouvoir constituant de l'intentionnalité, ce tome I des Idées directrices pour une phénoménologie pure... inaugurait un nouveau style de philosophie - l'analyse de l'expérience vécue. Ce chemin conduisit Husserl à concevoir l'interprétation de l'expérience - ou la « philosophie phénoménologique » - dans les termes d'un nouvel idéalisme transcendantal.
C'est de l'analyse critique et de la contestation systématique de cette position radicale que sont issues la plupart des philosophies phénoménologiques ultérieures, depuis Ingarden et Heidegger jusqu'à nos jours.
La présente édition française a été établie sur la base de l'édition critique de référence due à Karl Schuhmann (Husserliana III, 1974). Elle bénéficie des nombreux progrès réalisés par les études husserliennes depuis la traduction pionnière de Paul Ricoeur en 1950.
Outre une nouvelle version française, plus précise, du traité réédité par Husserl en 1928, le lecteur trouvera ici un riche ensemble de textes, jusqu'ici inédits en français, qui forment le contexte historique des « Ideen... I » : Les esquisses préparatoires de 1912 ; de nombreux textes complémentaires ou correctifs, préparés par Husserl en vue d'une réédition ultérieure ; et surtout, les annotations marginales de l'auteur sur ses exemplaires personnels, marque explicite d'une relecture critique de son oeuvre par le fondateur de la phénoménologie lui-même.
La Théorie des touts et des parties (Recherche III) et L'idée de la grammaire pure (Recherche IV) complètent la théorie de l'abstraction idéatrice et de la signification exposée dans les deux premières recherches. L'objet de la phénoménologie, ce ne sont jamais des faits de nature, mais des essences. Il y a des possibilités et des impossibilités essentielles, a priori de l'organisation du champ de conscience et du réel, comme de celle de l'expression signifiante et du discours. Jetant les bases d'une " ontologie " phénoménologique, les Recherches III et IV annoncent les Idées directrices pour une phénoménologie (1913) et Logique formelle et logique transcendantale (1929).
La Recherche V forme la clef de voûte de l'édifice. Consacrée aux " vécus intentionnels " et à " leurs contenus ", elle propose la théorie phénoménologique de la conscience définie par sa structure intentionnelle. Husserl y précise ce qui le rapproche et ce qui le distingue de la psychologie descriptive de Brentano ou du néokantien Natorp. Il écarte toutefois l'hypothèse d'un " moi pur " que, par la suite, il jugera nécessaire de rétablir.
Loin d'alourdir l'exposé, ces références offrent l'intérêt de montrer à l'oeuvre et sur le vif l'édification d'une vision originale. Quoique prise encore dans la gangue d'un langage désormais caduc, elle soumet à la critique la notion classique de représentation. En établissant des distinctions aussi fondamentales, Husserl propose, pour exprimer ce qui n'était pas encore exactement exprimable, une nouvelle terminologie, en particulier celle de la corrélation entre " noèse " et " noème ".
Traduit de l'allemand par Hubert Elie, Arion L. Kelekel et René Scherer.
Husserl est principalement connu en france pour ses recherches fondamentales en logique et théorie de la connaissance.
Les traductions françaises de ces textes ont été si nombreuses qu'on a pu se croire autorisé à tenir les quelques développements relatifs à l'éthique qui y figuraient pour de malencontreuses incursions, portant la marque d'un intellectualisme et d'un logicisme inappropriés en cette matière. c'était méconnaître à la fois l'ampleur des efforts et la portée des résultats d'un aspect de son enseignement et de sa recherche qu'il jugeait lui-même essentiel.
S'il est probablement excessif de prétendre, avec husserl, que „ tous les développements ayant un sens analogue, intervenus depuis 1902 dans la littérature philosophique, se reportent à ces leçons et à ces exercices de séminaire, si importantes qu'aient été les modifications qu'ont subies les pensées communiquées ", il est incontestable que l'on a assisté, à partir des années 1900-1902, à une véritable explosion des tentatives de formalisation de l'éthique, et qu'on doit au moins reconnaître à husserl un rôle de précurseur.
La prise de connaissance de ces textes importerait donc déjà dans cette seule perspective historique. mais il est non moins souhaitable, pour une compréhension du sens de la démarche du père de la phénoménologie, de prendre la pleine mesure des efforts déployés en vue d'une fondation phénoménologique de la théorie de la valeur et de l'éthique. les lacunes documentaires en ces matières se sont progressivement et partiellement comblées grâce à des publications plus récentes (notamment les vol.
Xxviii et xxxvii des husserliana. mais le massif des recherches visant à "développer de façon critique et concrète l'idée d'une axiomatique [des valeurs] et d'une pratique formelles" restait jusqu'à ce jour peu accessible à un public de langue française - pour ne rien dire de l'autre massif d'investigations phénoménologiques sur l'affectivité et la volonté dont la publication annoncée par les archives husserl de louvain est fort attendue.
Le présent ouvrage constitue donc un premier pas en ce sens, en offrant la traduction du texte principal et de deux annexes du volume xxviii des husserliana intitulé vorlesungen über ethik und wertlehre, 1908-1914, publié en 1988, cours professés par husserl à göttingen pendant le semestre d'hiver 1908-1909 et les semestres d'été 1911 et 1914.
Faisant suite aux Essais sur les Synthèses passives qui traitaient des opérations de la sensibilité, les Essais sur les Synthèses actives traitent de la généalogie de la logique, des opérations mentales qui président à l'élaboration du jugement.
Dans sa préface à ses Leçons pour la phénoménologie de la conscience intime du temps d'Edmund Husserl en 1928, Martin Heidegger mentionne les Manuscrits de Bernau pour la première fois.
Les Manuscrits reprennent les travaux de recherche de Husserl consacrés à l'individuation et à sa relation à la conscience originaire du temps, rédigés pendant deux séjours à Bernau en 1917 et 1918. Successivement, Martin Heidegger et Roman Ingarden, puis Edith Stein, Ludwig Landgrebe et Eugen Fink sont chargés par leur professeur de donner forme aux manuscrits accumulés. Décrits comme un " ouvrage fondamental de la phénoménologie " par son auteur, les manuscrits de Bernau ont été publiés pour la première fois en 2001 par Rudolf Bernet et Dieter Lohmar aux éditions Kluwer.
Si la partie "A" du volume X des Husserliana, c'est-à-dire les désormais classiques Leçons sur la conscience intime du temps élaborées par Edith Stein et publiées par Martin Heidegger en 1928, est depuis longtemps à la disposition du lecteur d'expression française, la place exceptionnelle qu'occupe la question du temps dans la philosophie en général, et dans la phénoménologie de Husserl en particulier, justifie qu'on livre enfin au public la partie "B" qui regroupe des textes de la période 1893-1917 pour la plus large part écartés par la compilation trop systématiquement recomposée d'E. Stein. Les perspectives qu'ouvre ce volume, formant une unité indépendante en soi, non seulement ne peuvent pas s'acquérir à partir du corpus Stein/Heidegger, mais surtout permettent de mieux comprendre la complexité et l'évolution d'une recherche inlassable seulement condensée dans les Leçons, et de cerner les apories qui sont " au travail " de façon incessante dans les textes ici traduits et qui tiennent, en leur racine commune, à la conception unidimensionnelle de la temporalité à laquelle Husserl n'a jamais voulu renoncer. C'est la phénoménologie de la perception qui, encore une fois, fournit le cadre initial des analyses : l'intentionnalité s'y institue selon un mode de temporalisation qui est celui du présent vivant en flux continu, muni de ses rétentions et de ses protentions. Cette affinité élective entre intentionnalité et temps conduit même à dégager une double intentionnalité, dont on peut se demander en quel sens elle est encore intentionnalité, et qui est très vite vouée à déborder cette effectuation conscientielle spécifique qu'est la perception pour s'affronter aux redoutables problèmes de l'intropathie et de la phantasia. La part est ainsi faite à la fois aux analyses concrètes - satisfaisant par là à l'exigence d'attestabilité de la phénoménologie -, aux analyses formelles - souvent par abstraction géométrisante des premières -, mais aussi au dialogue d'ordre historique avec les conceptions contemporaines que défendaient alors Brentano, Meinong ou Stern. Le texte est précédé d'une riche introduction restituant les présentations des deux éditions allemandes existantes.
Peut-on, de l'existence d'un Cours consacré partiellement à l'attention, conclure à l'existence chez Husserl d'une phénoménologie de l'attention en bonne et due forme? En montrant comment l'attention entretient une relation complexe à la perception, à la volonté, à l'affect et à la réflexion, le phénoménologue fait ressortir l'originalité d'un vécu qui n'est pas un acte intentionnel au sens précis mais traverse les actes pour les porter à leur accomplissement : ni raison (à savoir volonté et réflexion), ni sentiment (à savoir affect et plaisir), l'attention remplit une fonction modulatrice des actes de la onscience, fonction qui fait à elle seule son originalité dynamique d'amorçage et d'adossage intégratif. Par une double réforme de l'intentionnalité (formelle) et de l'intensité (matérielle) de la conscience, il renvoie dos-à-dos, non sans y puiser certaines ressources, la problématique du champ de la conscience (Wundt) et celle, longuement discutée, de l'attention comme plaisir pris à remarquer (Stumpf).
Husserl joue sur une variation terminologique de l'attention (Zuwendung : conversion attentionnelle; Aufmerksamkeit : activité aperceptive de remarquer; attention : tension vers) qui démantèle une identité homogène donnée a priori et permet au langage d'épouser les modifications et mutations expérientielles du phénomène attentionnel. A-t-on pour autant affaire à une « phénoménologie de l'attention »? Nous laissons le lecteur juger et conclure lui-même après lecture.