« Le grand moment était venu. Le barrage roulant s'approchait des premières tranchées. Nous nous mîmes en marche... Ma main droite étreignait la crosse de mon pistolet et la main gauche une badine de bambou. Je portais encore, bien que j'eusse très chaud, ma longue capote et, comme le prescrivait le règlement, des gants. Quand nous avançâmes, une fureur guerrière s'empara de nous, comme si, de très loin, se déversait en nous la force de l'assaut. Elle arrivait avec tant de vigueur qu'un sentiment de bonheur, de sérénité me saisit.
L'immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l'excès de bonheur. » Ernst Jünger.
Le livre d'Ernst Jünger, Orages d'acier, est incontestablement le plus beau livre de guerre que j'aie lu.André Gide.
Sur les falaises de marbre fut publié en Allemagne juste avant le début de la guerre. Aussitôt il fut interprété comme une protestation contre l'hitlérisme, et seule la renommée de Jünger le préserva de poursuites.Ce serait cependant une erreur de considérer ce roman comme une oeuvre de circonstance. Jünger a écrit un des romans romantiques les plus étonnants non seulement de la littérature allemande, mais de la littérature mondiale. Un paysage intemporel face à la mer, des figures symboliques, une action qui montre la lutte entre le bien et le mal, la menace toujours présente de la barbarie.Ce combat permanent, Ernst Jünger l'a élevé au niveau du mythe, grâce à un langage d'une précision hallucinante où rêve et réalité se confondent.
Ernst Jünger nous livre ici une nouvelle facette de son immense talent : le symbolisme de Sur les falaises de marbre, d'Héliopolis et des Abeilles de verre a cédé la place à un récit empreint d'une prenante nostalgie. Dans Le lance-pierres, l'auteur a recréé l'Allemagne d'avant la guerre de 1914 dans une petite ville de garnison où le XIX? siècle n'en finit plus de mourir. Dans ce monde à la veille de s'écrouler, un enfant cherche le visage de celui qu'il sera demain. Dès les premières pages, le lecteur se sent transporté dans le monde de l'enfance, d'une enfance mélancolique et inquiète. Pour le jeune Clamor Ebling, l'école, la pension, la ville elle-même, avec ses venelles et les secrets de ses jardins, deviendront les lieux de perpétuels combats contre la brutalité et l'absurdité d'un univers dont les clés lui échappent encore.
« Un jeu magnifique et sanglant auquel les dieux prenaient plaisir » : on songe à Homère et à la guerre de Troie ; c'est 14-18 vue par Jünger. L'idée que des hommes aient pu consentir librement à une telle épreuve est presque scandaleuse aujourd'hui. On préfère penser que les combattants furent des victimes et souligner ce que leur héroïsme doit à la contrainte. Alors Jünger, évidemment, dérange. En 1920, Orages d'acier décrit une expérience des limites dont il a clairement consenti à payer le prix. Un jeu de vie ou de mort, comme une partie de chasse, mais dotée d'une justification morale : chasseur et gibier échangent constamment leur rôle. Jünger, qui n'est pas un fou, ne nie pas que la guerre soit terrible. Simplement, il montre qu'elle transforme l'homme de l'intérieur autant qu'elle l'agresse de l'extérieur. Sous le feu, il prenait des notes. Entre ces notes et les livres, « il y a toute la distance qui sépare l'action de la littérature ». Littérature : il s'agit de cela, plus que d'histoire. C'est l'essence anhistorique de la guerre éternelle que Jünger découvre sur le front et consigne dans son journal. En joignant aux versions définitives un choix de textes et de fragments retranchés, ce volume prend en compte les journaux de Jünger dans toute leur complexité.
Hostile très tôt au monde bourgeois, élève médiocre, fuguant à dix-huit ans pour rejoindre la Légion étrangère, héros couvert de décorations, Ernst Jünger (1895-1998) est un parfait autodidacte qui n'a effectué à l'université que de brèves études en zoologie. Boulimique de lecture depuis son enfance, nourri de Nietzsche et de Schopenhauer, il allie à une culture immense et diversifiée l'expérience traumatisante de la nouvelle guerre de matériel. Bien qu'il se considère modestement comme un « amateur », il a composé de nombreux essais éclairants sur la crise du monde moderne, l'usage des drogues ou encore l'entomologie. Nous avons privilégié ici les textes qui s'interrogent sur le triomphe de la technique, marqué par l'avènement de la figure du Travailleur : celle-ci commence par fasciner Jünger avant de l'inquiéter, dans sa méfiance envers l'État technocratique, hautement suspect eu égard à sa sensibilité libertaire et précocement écologiste.
Édition établie, présentée et annotée par Julien Hervier.
Ce volume contient :
Lettre de Sicile au bonhomme de la Lune / Le Travailleur / Sur la douleur / La Paix / Passage de la Ligne / Traité du rebelle / Le Mur du temps / Maxima-Minima / Sens et signification / Les Ciseaux.
1939. Mobilisé par un régime qu'il déteste, Jünger est à nouveau sous l'uniforme. Ce n'est plus le même homme, ni la même armée. L'expérience, elle aussi, sera différente. Après une campagne au cours de laquelle il n'est jamais en première ligne, et à part une mission dans le Caucase comme observateur, il est un occupant à Paris, puis le chroniqueur d'un coin d'Allemagne occupée. Les journaux de la Première Guerre s'organisaient en grands chapitres ; ceux de la Seconde sont datés au jour le jour. Dans un décousu apparent et très concerté, ils font place à des notations sur les opérations militaires, à des rencontres avec écrivains et intellectuels, à l'examen de soi, des hommes et de la nature, aux amours, aux rêves, aux lectures. Jünger lit notamment la Bible ; le christianisme devient pour lui un allié contre le nihilisme triomphant. Sans dissimuler son hostilité aux nazis et à l'antisémitisme officiel (il lui arrive de saluer militairement les porteurs de l'étoile jaune), il reste à son poste et n'attaque pas le régime de front. On parle d'émigration intérieure pour qualifier cette position complexe, que les contempteurs habituels de Jünger simplifient à l'envi. Hannah Arendt était plus nuancée. Tout en constatant les limites de cette attitude, elle voyait dans les journaux de l'occupant Jünger « le témoignage le plus probant et le plus honnête de l'extrême difficulté que rencontre un individu pour conserver son intégrité et ses critères de vérité et de moralité dans un monde où vérité et moralité n'ont plus aucune expression visible ».
«Aucun livre dans toute l'oeuvre d'Ernst Jünger ne le représente de façon aussi complète et surprenante que ce Coeur aventureux [...]. De tous les pays où il a vécu, cet esprit infiniment curieux du réel et du rêve nous apporte ici ses plus rares trouvailles, recueillies avec une patience d'entomologiste mais aussi avec l'émerveillement d'un artiste pour qui la réalité est le répertoire des correspondances entre l'homme et le monde [...]. La profusion de la vie se disperse en notations brèves, intenses, qui couvrent tout le champ de la perception, le visible de l'invisible, et où surgissent çà et là des figures qui hanteront l'oeuvre future. Nous sommes ici au carrefour de toutes les routes de l'esprit et du coeur, à l'écoute de la totalité.»Henri Thomas.
Tome I :
«Un jeu magnifique et sanglant auquel les dieux prenaient plaisir» : on songe à Homère et à la guerre de Troie ; c'est 14-18 vue par Jünger. L'idée que des hommes aient pu consentir librement à une telle épreuve est presque scandaleuse aujourd'hui. On préfère penser que les combattants furent des victimes et souligner ce que leur héroïsme doit à la contrainte. Alors Jünger, évidemment, dérange. En 1920, Orages d'acier décrit une expérience des limites dont il a clairement consenti à payer le prix. Un jeu de vie ou de mort, comme une partie de chasse, mais dotée d'une justification morale : chasseur et gibier échangent constamment leur rôle. Jünger, qui n'est pas un fou, ne nie pas que la guerre soit terrible. Simplement, il montre qu'elle transforme l'homme de l'intérieur autant qu'elle l'agresse de l'extérieur. Sous le feu, il prenait des notes. Entre ces notes et les livres, «il y a toute la distance qui sépare l'action de la littérature». Littérature : il s'agit de cela, plus que d'histoire. C'est l'essence anhistorique de la guerre éternelle que Jünger découvre sur le front et consigne dans son journal. En joignant aux versions définitives un choix de textes et de fragments retranchés, ce volume prend en compte les journaux de Jünger dans toute leur complexité.
Tome II :
1939. Mobilisé par un régime qu'il déteste, Jünger est à nouveau sous l'uniforme. Ce n'est plus le même homme, ni la même armée. L'expérience, elle aussi, sera différente. Après une campagne au cours de laquelle il n'est jamais en première ligne, et à part une mission dans le Caucase comme observateur, il est un occupant à Paris, puis le chroniqueur d'un coin d'Allemagne occupée. Les journaux de la Première Guerre s'organisaient en grands chapitres ; ceux de la Seconde sont datés au jour le jour. Dans un décousu apparent et très concerté, ils font place à des notations sur les opérations militaires, à des rencontres avec écrivains et intellectuels, à l'examen de soi, des hommes et de la nature, aux amours, aux rêves, aux lectures. Jünger lit notamment la Bible ; le christianisme devient pour lui un allié contre le nihilisme triomphant. Sans dissimuler son hostilité aux nazis et à l'antisémitisme officiel (il lui arrive de saluer militairement les porteurs de l'étoile jaune), il reste à son poste et n'attaque pas le régime de front. On parle d'émigration intérieure pour qualifier cette position complexe, que les contempteurs habituels de Jünger simplifient à l'envi. Hannah Arendt était plus nuancée. Tout en constatant les limites de cette attitude, elle voyait dans les journaux de l'occupant Jünger «le témoignage le plus probant et le plus honnête de l'extrême difficulté que rencontre un individu pour conserver son intégrité et ses critères de vérité et de moralité dans un monde où vérité et moralité n'ont plus aucune expression visible».
Ces essais écrits entre 1928 et 1975 s'ouvrent sur La Lettre de Sicile au bonhomme de la lune, probablement le seul texte où Jünger définisse aussi précisément sa méthode de vision double des objets et du monde, les apparences et les connexions occultes à déchiffrer. Méthode à l'oeuvre dans tout ce recueil, qui regroupe aussi bien des réflexions sur les rapports du langage et de l'anatomie, des notes sur la peinture, que des récits de séjours au Portugal, en Sardaigne, à Antibes, où l'auteur découvre les tendances fondamentales de l'art occidental, marche sur les traces des survivances antiques, entre l'émerveillement du passé et le présent qui l'amuse. Une introduction idéale à l'oeuvre d'un des plus grands écrivains du XXe siècle.
« Jardins et routes : ce titre paisible surprend, appliqué à un journal de la « drôle de guerre » et de la campagne de France de septembre 1939 à juillet 1940. C'est que l'auteur, glorieux soldat de la guerre précédente, a, selon sa devise, « mûri dans les tempêtes », et que ce quadragénaire s'intéresse, ni à la technique de la destruction ni à la recherche de la supériorité, mais à ce qui survit après toutes les batailles : le fleuve, les roseaux, les rigueurs intemporelles d'un hiver presque semblable aux autres ; le calme des vastes plaines françaises et la splendeur des jardins, à peine troublés par l'agitation et le passage des guerriers et des fugitifs ; les témoignages d'une très ancienne civilisation, qui a connu bien d'autres épreuves et en connaîtra encore. ». (Henri Plard)
« Réunissant les chroniques de « choses vues » et d'événements de la vie personnelle d'Ernst Jünger, deuils, doutes, rencontres et aventures, ces journaux de guerre et d'occupation, qui couvrent la période de sa vie au presbytère de Kirchhorst dans le Hanovre de 1939 à 1948, ont aussi le caractère ésotérique d'un voyage initiatique. Ce dernier aspect apparaît plus clairement que jamais dans ce dernier volume, à la fois descente aux Enfers et, même aux pires moments, contact avec les sources de la vie profonde : le retour au pays natal, celui de l'enfance, où les villes sont détruites, mais la campagne et les rythmes de l'existence paysanne immuables ; le retour auprès des siens, dont la sollicitude et la tendresse le protègent à travers les misères et les dangers de l'occupation ; enfin, retour au passé et tentative de ressaisir dans la mémoire les débuts d'un glissement vers l'abîme du nihilisme absolu, dont Jünger touche le fond, avec tous ses compatriotes, en 1945.
Selon ses centres d'intérêt, le lecteur trouvera dans ce volume, [enrichi d'un texte intitulé le « feuillets de Kirchhorst »], un témoignage sur des faits mal connus en France, les premières années de l'après-guerre en Allemagne ; la relation d'un itinéraire spirituel ; ou, plus profondément, un dessin qui peut s'appliquer à toute existence en esprit, un art de mourir pour renaître, selon le précepte du vieux Goethe. » (Henri Plard)
Cet ouvrage rassemble les récits de deux séjours que fit Jünger, dans les années cinquante, à San Pietro et à Serpentara, deux îlots au sud-ouest de la Sardaigne. Et c'est naturellement, comme au vu de cette double insularité, par une digression sur l'île, lieu géographique mais mental aussi qu'ouvrent ces pages. Est-ce parce que les îles ont souvent été le lieu des utopies (Robinson Crusoë par exemple) que nous découvrons avec émerveillement dans ce texte la société des pêcheurs dans une description presque hésiodienne ? Il y a en effet comme un âge d'or patriarcal qui affleure et auréole les faits et geste quotidiens des insulaires auprès desquels Jünger revêt, comme malgré lui, la taille d'un Gulliver chez les Lilliputiens.
Le récit culmine dans la description dramatique d'une pêche au thon comme au temps des phéniciens, cérémonial barbare, mais première forme de culture tout autant, quelque chose d'une tauromachie marine avec ses règles, ses rituels, millénaires dirait-on, et dont Jünger nous fait partager la fascination.
« Le Mantrana est un jeu de dominos à deux et trois dimensions joué avec des maximes qu'on appellera des pierres », écrit en préambule l'auteur d'Orages d'acier, des Falaises de marbre et du Coeur aventureux.
Pierre Morel nous livre ici une traduction si lumineuse qu'elle se passe de toute explication. « Certains degrés de la jouissance ressemblent aux tourments des damnés. Mais l'erreur s'insinue aussi bien goutte à goutte dans les conversations de deux sages. », « Le chiffre n'a pas été découvert, il a été inventé, et il n'a pas d'égal dans l'empire des inventions. », « Quand tous sont pour nous, il y a grand danger. », « Un esprit qui n'admire pas ne mérite pas non plus l'admiration. », et enfin « L'obscurité devrait présager l'incommunicable, non l'incapacité à communiquer. »
" Ce manifeste est un texte fou mais nullement le texte d'un fou. Une histoire pleine de bruit, de fureur et de sang, la nôtre, est anticipée sans qu'il convienne d'en tenir responsables ces quelques pages ivres et hagardes, possédées par une Mauvaise Nouvelle qu'elles tentent fiévreusement d'énoncer comme Bonne. Comment, demanderez-vous, lecteurs d'aujourd'hui, ne pas s'inquiéter après coup de l'éloge du brise-tout pour qui "vivre égale mourir" ? Comment ne pas frémir face à l'apologie sulfureuse des frénétiques "dont le pas de charge disperse au vent comme feuilles d'automne toutes les valeurs de ce monde" ? Vous avez raison. Même à l'orée du XXIe siècle de telles propositions donnent la chair de poule... Certes mais les commodités faciles d'une condamnation rétrospective risquent pourtant de masquer l'ampleur d'un texte où l'avenir de la planète (pas seulement de l'Allemagne) bégaie avant de passer à l'acte. "
Ces Carnets de guerre 1914-1918 constituent un texte de première importance, qui permet de porter un regard neuf sur les débuts de l'écrivain.
Entre ces Carnets, notes prises sur le vif par un jeune engagé volontaire de dix-neuf ans, dans une quinzaine de petits carnets d'écolier qu'il portait constamment sur lui, même en pleine bataille, et les Orages d'acier, cette réécriture raffinée, rédigée après la défaite allemande par un brillant débutant qui découvre peu à peu les ressources de la littérature, il y a toute la différence entre un témoignage brut et une oeuvre d'art.
On connaissait depuis longtemps l'existence de ces petits carnets qui ont servi de matière première à Orages d'acier et aux deux autres récits que Jünger a tirés de cette expérience de la guerre, Feu et Sang et Le Boqueteau 125, mais ils n'ont été édités en Allemagne qu'à l'automne 2011. La première étude universitaire exhaustive à leur sujet avait été celle d'un jeune chercheur anglais, John King, publiée en 2003 sous un titre volontairement provocateur à propos d'un auteur considéré comme un apologiste sans réserve de la guerre. Il s'agit d'une phrase extraite des Carnets 1914-1918, et qu'on n'attendait pas d'Ernst Jünger : Quand donc cette guerre de merde va-t-elle enfin se terminer ?
Déjà dans ce titre, la nouveauté de l'oeuvre éclate, par rapport aux textes connus de Jünger. Par ailleurs, les différentes allusions de Jünger à ces carnets, souvent tachés de boue ou de sang selon ses propres termes, laissaient croire qu'il s'agissait de notes hachées, quasi sténographiques, arrachées à l'action et presque illisibles telles quelles. Or ce n'est pas du tout le cas ; il s'agit d'un texte généralement bien rédigé et très fort émotivement, même s'il ne témoigne pas encore de la maîtrise stylistique acquise plus tard par l'écrivain. En tant que témoignage direct, on peut même le considérer comme plus intéressant que les oeuvres littéraires que Jünger a ensuite publiées à partir de lui, car son authenticité est évidemment bien plus grande. En soi, ces Carnets mériteraient notre attention, même s'ils n'avaient pas été rédigés par un grand écrivain. Malgré ses quatorze blessures, Jünger est constamment reparti en première ligne, et il est l'un des rares témoins du conflit à avoir jour après jour enrichi sa chronique, quatre années durant sur le front, à Verdun et sur la Somme.
Ces carnets présentent par ailleurs un double intérêt en tant qu'oeuvre de Jünger. Ils révèlent d'abord des aspects inconnus ou volontairement voilés de sa personnalité complexe : sa brève idylle amoureuse avec une jeune Française, pudiquement évoquée dans Orages d'acier, est ainsi plus largement développée ; de même, les aspects terre-à-terre de la vie quotidienne du soldat (mauvaise nourriture, beuveries, bagarres, passages au bordel etc.) sont beaucoup plus présents ; et l'on découvre un aspect bien plus frondeur du lieutenant Jünger par rapport à la hiérarchie militaire que l'on n'en pouvait juger d'après les oeuvres publiées.
Jünger complète ses recherches sur l'homme et le temps : il tente de saisir intuitivement la mutation soudaine de l'humanité, mutation qu'il imagine imminente et qui verrait s'interrompre la lutte entre les États de l'Ouest et ceux de l'Est : l'étoile rouge et l'étoile blanche se fondraient en un astre unique, l'Éat universel. Notre temps, dit Jünger, est en train d'élaborer une grande image de la Mère. Il s'agit donc de dégager un nouvel ordre cosmique pour l'homme : comme Novalis, Jünger estime que l'âge d'or est devant nous et non pas à l'origine. L'État universel est l'esquisse de cette humanité à venir.
Publié en 1925, ce texte majeur de Ernst Jünger est traduit pour la première fois en français ; il constitue un document exceptionnel sur la Première Guerre mondiale, dans la ligne d'Orages d'acier.
A l'heure où l'on découvre le traumatisme initial qu'a provoqué la " guerre de Quatorze " pour la civilisation du Xxe siècle, ce livre est un témoignage sans concessions qui révèle non seulement l'horreur sans phrase de la guerre industrielle, mais la psychologie prodigieuse et terrifiante de ceux qui en furent les protagonistes et les victimes.
Cent aphorismes, extraits de Blätter une Steine, paru en 1934, et traduits par Henri Thomas, le passeur inspiré des Falaises de marbre et Coeur aventureux, édités dans une mise en page aussi rigoureuse qu'aérée pour le centenaire de leur auteur.
« Dans une prose qui renonce aux conclusions, il faut que les phrases soient comme graines et semences. », « Au domaine de la plus haute décision, la volonté n'a pas accès. », « Les déesses ne livrent que leurs statues. », « L'Eros de la brève rencontre n'est pas moindre. Il est autre. », « Qui veut tout décrire, mure les fenêtres du langage. »
Dans ce récit bref et mouvementé, paru à La Délirante avant de l'être en allemand, Ernst Jünger nous entraîne dans une traversée insolite en taxi d'un Paris fantastique un jour de grève, depuis une escale impromptue à Orly jusqu'à Montmartre où culmine le cauchemar, en passant par un curieux musée Henri IV au milieu d'une forêt, prétexte à l'évocation d'anecdotes le concernant, et un café sur les Champs-Elysées dont le garçon, Freddy, décide de lui faire crédit et de lui servir de guide dans une atmosphère de fin du monde. Le texte est illustré d'une dizaine de dessins à pleine page et de nombreuses vignettes spécialement réalisées pour cet ouvrage par le peintre allemand Horst Janssen. On pense aux gravures de Meryon et au Kubin de L'Autre côté, que Jünger avait connu.
Deux hommes et une femme se dirigent en barque vers Godenholm, où demeure leur maître philosophe. Que viennent-ils chercher ? Un art de penser, un art de vivre ? La quête de ces personnages fait penser à celle du Graal. L'essentiel semble plus tenir dans la recherche de l'objet précieux que dans sa découverte.
En août 1914, âgé de 19 ans, Ernst Jünger s'engage dans l'armée allemande. Du front, il écrit régulièrement à ses parents et à son frère Friedrich Georg. Si son courrier rend compte de ses difficultés pratiques et de la fatigue quotidienne, il témoigne par ailleurs de sa passion naissante pour l'entomologie.
Ces lettres, en dessinant le portrait d'un jeune engagé animé de convictions nourries de références à la culture classique, constituent un document précieux par la dimension humaine dont elles enrichissent cette expérience exceptionnelle de la guerre.
Dans cet essai dédié à la « jeunesse d'Europe et à la jeunesse du monde », Jünger, le combattant héroïque de la Première Guerre mondiale, aspire à un monde réconcilié : « Les fruits de la guerre doivent être universels. » Terrifié par une montée du nihilisme, il en appelle aux valeurs spirituelles. On retrouve dans ce livre les thèmes fondateurs de son oeuvre : l'exil intérieur, le recours aux forêts contre le progrès, l'excellence humaine contre la perfection technique.
Pendant la Première Guerre mondiale, dans le calme et la terreur des tranchées, trois officiers allemands se retrouvent pour échanger des idées sur leur destin, leur avenir et leurs émotions. Sans cesse ils reviennent sur le sens de cette guerre qu'ils ont choisi de faire. La tension dramatique naît de la succession des alertes et des attaques, et du contraste entre les monotonies du front et les scènes où le lieutenant Sturm lit à ses amis les textes qu'il a ébauchés, qui apparaissent comme des prolongements et des éclaircissements du désastre qu'ils vivent.
Livre tragique et prémonitoire, Lieutenant Sturm a été publié pour la première fois en 1923 dans un journal de Hanovre, puis repris en volume en 1963.
«Lieutenant Sturm est une oeuvre essentielle pour l'éclairage qu'elle apporte sur un des écrivains majeurs de notre siècle.»
Laurent Dandrieu, Le Quotidien de Paris