Compositeur, critique et symbole du romantisme musical français, Berlioz a chroniqué en détail les activités musicales de son temps, avec la plume étourdissante d'un véritable écrivain qui ne craint ni l'autobiographie railleuse ni l'imaginaire de la nouvelle romanesque. Il nous légua un vaste corpus littéraire en très grande partie inexploré, et dont la portée est depuis longtemps attestée. Considéré comme « le roi des critiques » durant sa vie, il est aujourd'hui estimé comme un des auteurs les plus importants sur la musique du dix -neuvième siècle, et comme principal critique musical français de
l'époque.
Dans ce nouveau volume des écrits critiques de Berlioz, ce sont encore trois années (comme pour le volume précédent) qui se déroulent : 1842, 1843 et 1844.
Tôt d'abord, Berlioz clôt, début 1842, la série d'articles sur l'instrumentation qu'il avait commencée en 1841 et qui formera l'essentiel de son Grand Traité d'instrumentation et d'orchestration modernes publié peu après.
Ensuite, il publie une dizaine de lettres écrites à des amis sur son « Voyage en Allemagne » de 1843 dans lesquelles il relate ses rencontres, ses impressions musicales et la tournée de concerts qu'il organisa là-bas. Il publie également, en analysant de façon humoristique, le Berlioz chef d'orchestre, un compte-rendu du concert qu'il dirigea au Théâtre-Italien en mai 1844.
D'autre part, il écrit, en huit épisodes, une nouvelle imaginaire, Euphonia ou la Ville musicale qu'il situe en 2344 et dans laquelle il dépeint avec force détails « la » cité musicale idéale.
Enfin, Berlioz rapporte les divers événements qui ponctuent la vie musicale parisienne : les six ou sept concerts annuels de la Société des concerts du Conservatoire, les récitals et concerts privés qui foisonnent de toutes parts, les créations d'opéras et d'opéras-comiques (Donizetti, Halévy, Thomas, Auber, Monpou), les reprises de l'ancien répertoire lyrique (Cherubini, Dalayrac, Monsigny), les nouvelles publications (oeuvres musicales, albums, méthodes), les nouveautés instrumentales (innovations d'Adolphe Sax, Festival de l'Industrie en 1844), la disparition des uns (celle de Cherubini en 1842), et l'émergence des autres (Félicien David et son ode-symphonie, Le Désert, en 1844).
Cet ouvrage est le sixième des dix volumes du vaste projet de publication, en édition critique, de l'intégralité des articles qu'Hector Berlioz a écrits dans la presse entre 1823 et 1863. Si le public connaît le compositeur, il méconnaît l'écrivain qui consacra quarante ans de sa vie à la critique musicale. Chroniqueur prolifique de la vie musicale de son temps, Berlioz acquit une réputation enviée de critique régulier au Journal des débats et à la Gazette musicale de Paris. Jamais les quelque neuf cents articles laissés par Berlioz n'avaient été rassemblés : c'est ce manque qu'entend combler notre édition critique.
Dédié aux années 1845-1848, ce volume, comme les précédents, met en valeur les qualités d'écrivain de Berlioz : une plume alerte et acérée, des propos pertinents et audacieux, une réflexion de musicien complet à l'entier service de son art.
Pendant ses tournées qui l'amènent tant en France qu'à l'étranger (Vienne, Pest et Prague essentiellement), le compositeur ne cesse d'observer, comparer, et continuer le combat pour les idées qui lui sont chères : amélioration de la formation des musiciens, respect pour les compositeurs, refus de la médiocrité.
C'est ainsi qu'il salue l'initiative de Barthélemy de construire une vaste salle de concert ; ou qu'il liste toutes les classes que le Conservatoire devrait ouvrir pour mieux préparer les futurs instrumentistes, chanteurs et choristes ; qu'il suit de près les réformes des orchestres militaires, applaudissant aux inventions de Sax qui révolutionnent la facture instrumentale des cuivres ; qu'il soutient les interprètes exceptionnels, comme la jeune Sophie Bohrer, Léopold de Meyer, ou les incontournables Thalberg et Liszt. Quelques articles traitant de sujets isolés, comme celui sur Glinka, ou sur « le droit des pauvres », viennent compléter ce tableau musical passionnant d'une période riche en événements de tous genres.
Ce projet a commencé en 1978 sous la direction conjointe des professeurs H. Robert Cohen (Canada puis États-Unis) et Yves Gérard (Conservatoire de Paris) avec la collaboration de chercheurs et d'étudiants canadiens, américains et français en formation doctorale. Depuis le départ du professeur Cohen en 1997, il est placé sous la direction scientifique du professeur Yves Gérard, et désormais confié aux chercheurs du Centre de Recherche et d'Édition du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP).
L'entrée de Berlioz, comme critique, au prestigieux Journal des débats donne un souffle nouveau à sa production littéraire, car il lui faut assurer aussi les tribunes régulières du Rénovateur et de la Revue et Gazette musicale de Paris sans compter les articles disséminés dans divers périodiques.
La variété des sujets traités devient infinie. Certes, ses chers Beethoven et Gluck, sa chère société des concerts du Conservatoire sont tout autant évoqués que dans le premier tome de ses critiques (1823-1834), mais les domaines de réflexion s'élargissent. Berlioz s'insurge contre les taxes qui tuent la vie musicale, s'inquiète de l'éducation musicale à l'école et dans les milieux populaires et provinciaux, discute les traités théoriques de Cherubini ou Beethoven, rêve de combiner littérature et musique dans un nouveau lieu culturel, le gymnase-musical.
Et, comme la vie musicale quotidienne à Paris ne lui échappe guère, pas plus que certains événements importants en province et à l'étranger, c'est une masse considérable de textes qui sortent de la plume de Berlioz en deux années. Le lecteur ne pourra qu'admirer les portraits saisissants de Liszt, dans sa rivalité avec le séduisant Thalberg, et de Meyerbeer, auteur d'un nouveau chef-d'oeuvre, les Huguenots, alors que la Juive d'Halévy lui semble banale malgré une somptueuse présentation ; les disparitions de Bellini et Reicha génèrent des hommages mesurés et émouvants.
Mais en même temps, la verve de Berlioz reste intarissable : les ballets Brézilia et L'île des pirates sont les victimes de son ironie burlesque, et l'imaginaire du compositeur-écrivain le conduit à transformer la simple critique en vraie nouvelle romanesque, que ce soit à propos des tribulations d'un auteur d'opéra-comique ou lors de la création d'Actéon de Scribe et Auber, irrésistible bouffonnerie confiée malicieusement au pseudonyme du " vieillard stupide qui n'a presque plus de dents ".