«En fait, j'aurais tout aussi bien pu ne pas écrire. Après tout, ce n'est pas une obligation. Depuis la guerre, je suis resté un homme discret ; grâce à Dieu, je n'ai jamais eu besoin, comme certains de mes anciens collègues, d'écrire mes Mémoires à fin de justification, car je n'ai rien à justifier, ni dans un but lucratif, car je gagne assez bien ma vie comme ça. Je ne regrette rien : j'ai fait mon travail, voilà tout ; quant à mes histoires de famille, que je raconterai peut-être aussi, elles ne concernent que moi ; et pour le reste, vers la fin, j'ai sans doute forcé la limite, mais là je n'étais plus tout à fait moi-même, je vacillais, le monde entier basculait, je ne fus pas le seul à perdre la tête, reconnaissez-le. Malgré mes travers, et ils ont été nombreux, je suis resté de ceux qui pensent que les seules choses indispensables à la vie humaine sont l'air, le manger, le boire et l'excrétion, et la recherche de la vérité. Le reste est facultatif.» Avec cette somme qui s'inscrit aussi bien sous l'égide d'Eschyle que dans la lignée de Vie et destin de Vassili Grossman ou des Damnés de Visconti, Jonathan Littell nous fait revivre les horreurs de la Seconde Guerre mondiale du côté des bourreaux, tout en nous montrant un homme comme rarement on l'avait fait : l'épopée d'un être emporté dans la traversée de lui-même et de l'Histoire.
Les sept chapitres d' Une vieille histoire commencent et se terminent toujours de la même façon. Le narrateur sort de la piscine, se met à courir dans un long couloir gris et ouvre une porte. Derrière cette porte, une maison, une chambre d'hôtel, un studio, une ville ou une zone sauvage où se jouent à l'infini les rapports humains : famille, sexe, guerre, solitude sont les thèmes de prédilection de l'auteur.
Le narrateur prend part aux événements avant de replonger dans la piscine, et de recommencer...
Jonathan Littell avait publié un texte court intitulé Une vieille histoire, paru aux Éditions Fata Morgana, dont il s'est inspiré pour l'écriture de cette Vieille histoire, nouvelle version.
Les récits de Fata Morgana reprennent quatre courtes histoires écrites après le succès fulgurant des Bienveillantes, Goncourt 2006. Microromans ou récits labyrinthiques, ces textes vertigineux et ambigus explorent les domaines de prédilection de Jonathan Littell : personnages complexes, imaginaire surprenant voire déroutant, chemins kafkaïens, jeux de miroirs entre la réalité et la fiction... Récits sur rien, Études, En pièces et Une vieille histoire (prémices de son roman Une vieille histoire, nouvelle version ), tous parus aux Éditions Fata Morgana, sont réunis pour la première fois dans la collection Folio.
" La Tchétchénie, c'est comme 1937, 1938 ", me déclare dans son petit bureau moscovite un des dirigeants de Memorial, la plus grande association russe des Droits de l'homme.
" On achève un vaste programme de construction, les gens reçoivent des logements, il y a des parcs où les enfants jouent, des spectacles, des concerts, tout a l'air normal et... la nuit, des gens disparaissent." C'est ce même homme qui m'a décrit la " tchétchénisation ", nom donné à la décision prise par Vladimir Poutine en 2002 d'installer un pouvoir tchétchène prorusse fort, principalement composé d'anciens rebelles, dirigé par l'ex-mufti indépendantiste Akhmad- Khadzhi Kadyrov, comme le " transfert du pouvoir de mener des violences illégales des structures fédérales aux structures locales".
Et il était d'accord que cette " tchétchénisation " avait entraîné un réel changement : "Les violences ne sont pas moins cruelles, mais elles sont plus sélectives."