«Des nombreux problèmes qui exercèrent la téméraire perspicacité de Lönnrot, aucun ne fut aussi étrange - aussi rigoureusement étrange, dirons-nous - que la série périodique de meurtres qui culminèrent dans la propriété de Triste-Le-Roy, parmi l'interminable odeur des eucalyptus. Il est vrai qu'Eric Lönnrot ne réussit pas à empêcher le dernier crime, mais il est indiscutable qu'il l'avait prévu...».
«Ce livre comporte treize nouvelles. Ce nombre est le fruit du hasard ou de la fatalité - ici les deux mots sont strictement synonymes - et n'a rien de magique. Si de tous ces écrits je ne devais en conserver qu'un seul, je crois que je conserverais Le congrès, qui est à la fois le plus autobiographique (celui qui fait le plus appel aux souvenirs) et le plus fantastique.
J'ai voulu rester fidèle, dans ces exercices d'aveugle, à l'exemple de Wells, en conjuguant avec un style simple, parfois presque oral, un argument impossible. Le lecteur curieux peut ajouter les noms de Swift et d'Edgar Allan Poe.
Je n'écris pas pour une petite élite dont je n'ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu'on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J'écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.» Jorge Luis Borges.
«L'Aleph restera, je crois, comme le recueil de la maturité de Borges conteur. Ses récits précédents, le plus souvent, n'ont ni intrigue ni personnages. Ce sont des exposés quasi axiomatiques d'une situation abstraite qui, poussée à l'extrême en tout sens concevable, se révèle vertigineuse.Les nouvelles de L'Aleph sont moins roides, plus concrètes. Certaines touchent au roman policier, sans d'ailleurs en être plus humaines. Toutes comportent l'élément de symétrie fondamentale, où j'aperçois pour ma part le ressort ultime de l'art de Borges. Ainsi, dans L'Immortel : s'il existe quelque part une source dont l'eau procure l'immortalité, il en est nécessairement ailleurs une autre qui la reprend. Et ainsi de suite...Borges : inventeur du conte métaphysique. Je retournerai volontiers en sa faveur la définition qu'il a proposée de la théologie : une variété de la littérature fantastique. Ses contes, qui sont aussi des démonstrations, constituent aussi bien une problématique anxieuse des impasses de la théologie.»Roger Caillois.
Onze nouvelles pour découvrir l'univers et la plume d'une figure emblématique de la littérature argentine.«En 1885, Kipling avait entrepris la rédaction d'une série de brefs récits, écrits très simplement, qu'il devait réunir dans un recueil en 1890. Beaucoup d'entre eux sont des chefs-d'oeuvre laconiques; je me suis dit un jour que ce qu'avait conçu et réalisé un jeune homme de génie pouvait, sans outrecuidance, être imité par un homme parvenu au seuil de la vieillesse et qui connaît son métier. Le présent volume, que mes lecteurs jugeront, est le fruit de cette réflexion.»
Borges lui-même présente ses contes en ces termes : « En 1885 Kipling avait commencé, à Lahore, une série de brefs récits, écrits de façon simple, dont il allait faire un recueil en 1890. Beaucoup d'entre eux - In the House of Sudhoo, Beyond the Pale, The gate of the Hundred Sorrows - sont de laconiques chefs-d'oeuvre ; je me suis dit un jour que ce qu'avait imaginé et réussi un jeune homme de génie pouvait, sans outrecuidance, être imité par un homme au seuil de la vieillesse et qui a du métier. Cette pensée a eu pour résultat le présent volume que mes lecteurs jugeront. » L'auteur a sans conteste atteint son but. Les onze contes du recueil sont bien de « laconiques chefs d'oeuvre ». Mais il est allé au-delà. À l'exception de quatre d'entre eux, non moins intenses que les autres, mais exempts de violence extérieure, ils sont d'une cruauté à couper le souffle.
Borges parle ici comme agissent ses personnages, aventuriers, gauchos querelleurs, mauvais garçons. C'est le couteau qui dans ces contes parle en maître, c'est qui lui a presque toujours le dernier mot.
Et l'écriture y a, elle aussi, la rapidité du couteau.
«Ce livre comporte treize nouvelles. Ce nombre est le fruit du hasard ou de la fatalité - ici les deux mots sont strictement synonymes - et n'a rien de magique. J'ai voulu rester fidèle, dans ces exercices d'aveugle, à l'exemple de Wells, en conjuguant avec un style simple, parfois presque oral, un argument impossible. Le lecteur curieux peut ajouter les noms de Swift et d'Edgar Allan Poe. J'écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.» Jorge Luis Borges.
«Le Dragon a le pouvoir de prendre de nombreuses formes, mais celles-ci sont impénétrables. En général on l'imagine avec une tête de cheval, une queue de serpent, de grandes ailes latérales et quatre griffes chacune pourvue de quatre ongles. On parle aussi de ses neuf ressemblances : ses cornes ressemblent à celles du cerf, sa tête à celle du chameau, ses yeux à ceux d'un démon, son cou à celui d'un serpent, son ventre à celui d'un mollusque, ses écailles à celles d'un poisson, ses griffes à celles d'un aigle,la plante de ses pieds à celle du tigre et ses oreilles à celles d'un boeuf. Il y a des spécimens auxquels manquent les oreilles et qui entendent au moyen de leurs cornes. Il est courant de le représenter avec une perle, qui pend à son cou et qui est l'emblème du soleil. Dans cette perle réside son pouvoir. Il devient inoffensif si on la lui enlève.» Ici, le grand auteur argentin nous entraîne dans son bestiaire unique, dans son zoo hors du commun : cent cinquante notices portant sur des êtres de rêve et de cauchemar, créatures présentes dans les contes et les mythologies. Se dégage de ce Livre des êtres imaginaires la patte fantastique et singulière de Jorge Luis Borges.
La place de la poésie dans l'oeuvre de Borges est considérable par sa valeur et sa signification. À partir du moment où il est pratiquement devenu aveugle, Borges n'a plus guère composé qu'en vers. Le lecteur trouvera dans cette poésie tous les thèmes de la prose de Borges, mais profondément transfigurés:à la fois humanisés, stylisés et plus dépouillés. Et d'après le poète lui-même, la transposition française d'Ibarra donne à ces textes «une nouvelle vie lucide et mystérieuse tout ensemble».
«Je vis l'Aleph, sous tous les angles, je vis sur l'Aleph la terre, je vis mon visage et mes viscères, je vis ton visage, j'eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu'aucun homme n'a regardé : l'inconcevable univers».
Trois contes tirés du célèbre recueil L'Aleph, dans lequel Borges livre une démonstration magistrale de son art, faisant de la symétrie fondamentale, presque vertigineuse, la clef de voûte de son oeuvre. Sa préoccupation essentielle : traiter des rapports du fini et de l'infini, de la mort et de l'immortalité, de la barbarie et de la civilisation... À la fois l'alpha et l'oméga.
Trad. de l'espagnol (Argentine) par Roger Caillois et René L.-F. Durand et révisé par Jean Pierre Bernès. Préface et notes de Jean Pierre Bernès.
«Maître des splendides possibilités littéraires de la métaphysique considérée comme partie intégrante de l'univers fantastique, adepte pratiquant de l'élégante rigueur du genre policier, riche d'une culture polyphonique peu commune et d'une formidable intelligence sans failles, joueur dans l'âme, Borges, dans les contes de Fictions, invente des systèmes à plusieurs degrés, des mondes, des mondes de mondes, labyrinthes de labyrinthes, dans lesquels le réel le plus élémentaire et l'imaginaire le plus débridé se fondent au sein d'une harmonie recomposée qui impose au chaos un ordre découvert dans l'esthétique des miroirs.» Jean Pierre Bernès.
«Une balafre rancunière lui sillonnait le visage : arc gris cendré et presque parfait qui d'un côté lui flétrissait la tempe et de l'autre la pommette. Son vrai nom n'importe guère ; à Tacuarembo on l'appelait l'Anglais de la Colorada. Cardoso, le propriétaire de ces terres, ne voulait pas vendre ; j'ai entendu dire que l'Anglais avait eu recours à un argument imprévisible : il lui avait confié l'histoire secrète de sa cicatrice.» Plongeant au coeur de la réalité mouvante, multiple, des êtres et des choses, Borges se joue de son lecteur pour mieux l'envoûter : un éblouissement.
Au mois d'octobre 1965, Jorge Luis Borges donne quatre conférences sur l'histoire du tango devant un groupe d'admirateurs et d'amis réunis à Buenos Aires. Ces conférences seront secrètement enregistrées par l'un des invités, le journaliste et écrivain galicien Manuel Román Rivas. C'est bien lui qui, plus de quarante ans plus tard, remet les enregistrements à un autre journaliste espagnol, le basque José Manuel Goikoetxea. Mais celui-ci ne connaît pas Borges et ne réussit pas à identifier le conférencier. Intrigué, il transmet les bandes, à son tour, à l'écrivain Bernardo Atxaga, qui, lui, reconnaît aussitôt la voix de l'auteur de Fictions et se rend compte de la valeur de ces documents. Atxaga contacte sans tarder María Kodama, la veuve et ayant-droit de l'écrivain argentin. Elle certifie l'authenticité des enregistrements et autorise la transcription et la publication du contenu en novembre 2013.
Voilà la longue et quelque peu rocambolesque histoire de ce petit livre. Il est pourtant assez simple et accessible : les quatre conférences de Borges parcourent chronologiquement (et d'une manière claire et ordonnée) la genèse, le développement et le rayonnement international du tango, depuis son apparition dans les faubourgs de Buenos Aires vers 1880 jusqu'à son arrivée à Paris dans les premières décennies du XX e siècle. C'est cette période d'un demi-siècle qui intéresse particulièrement l'écrivain car elle lui permet de décrire non seulement le passage d'une Argentine rurale à une Argentine urbaine, mais aussi d'une société traditionnelle à une société moderne et dont la culture s'exporte dans le monde entier.
En 1961, après la publication de L'Auteur, Jorge Luis Borges fait paraître une anthologie personnelle de ses oeuvres, une sélection dans son «propre cosmos». Le voici donc lecteur de l'auteur, selon un processus labyrinthique qui lui est cher, dans une nouvelle enquête, à la recherche du livre de ses livres. Cette anthologie personnelle rassemble une cinquantaine de courts textes et poèmes, choisis dans ses recueils antérieurs (Fictions, L'Aleph, L'Auteur...). Borges illustre ainsi tous les thèmes de son oeuvre:l'espace des miroirs, le moi révélé ou rêvé, le chaos du monde, la fascination du silence. «Mes préférences ont dicté ce livre. Je veux être jugé par lui, justifié ou désapprouvé par lui.» L'Anthologie personnelle de Borges n'a jamais encore été publiée en France sous cette forme, telle qu'il l'avait élaborée, nouvelle ébauche d'une bibliothèque infinie.
«Curieuse destinée que celle de l'écrivain, dit Borges dans l'une des préfaces qui scandent ce volume : à ses débuts il est baroque, vaniteusement baroque. Au bout de longues années il peut atteindre, si les astres sont favorables, non pas la simplicité, qui n'est rien, mais la complexité modeste et secrète.» On ne saurait mieux dire et, de fait, le lecteur reconnaîtra dans ces poèmes, où la parabole succède à la confidence, et le vers blanc au sonnet, tous les thèmes essentiels de l'oeuvre de Borges, des miroirs aux labyrinthes et aux épées, du culte des aînés à la contradiction du temps qui passe et de l'identité qui demeure. Mais dépouillés et comme transfigurés par une voix en sourdine, et souvent pathétique, où tremblent les accents de la plus profonde intimité.
«Presque tous les recueils de Borges contiennent au moins un poème d'amour. Cette flamme - obscure merveille -, qui n'allume en général que quelques lignes à la fin du poème peut passer inaperçue. Après le recensement de thèmes qui lui sont chers, il lève la voix brièvement comme s'il proférait une sentence. Le lecteur fait halte sur ces mots qui s'écrivent simplement, de manière douloureuse et à la fois heureuse. Le bonheur est-il douloureux? Borges nous donne à comprendre que, déchiré et heureux, il souffre d'amour comme tous les hommes.» Silvia Baron Supervielle.
Ce Livre de préfaces, dont les textes s'échelonnent de 1923 à 1974 - sauf pour quelques pages ultérieures qui enrichissent la présente édition -, se situe parallèlement aux Enquêtes dans l'oeuvre de l'écrivain argentin. Car, ici, la préface n'est pas une manière de toast mais une forme latérale de la critique.On y trouve des études consacrées à Swedenborg ou à Shakespeare, à Whitman, Cervantès ou Gibbon, à James ou à Carlyle ; et Spinoza peut tout naturellement éclairer les vers d'un poète populaire argentin ou Kafka modifier l'univers de Melville ou les paradoxes de Zénon.L'Essai d'autobiographie qui complète ce volume fut écrit en anglais en 1970. Dans un style oral, Borges, peu enclin aux confidences, parle de ses ancêtres, de ses lectures innombrables, de ses voyages, de la bibliothèque de son père, qui fut son école et dont il lui arrivait de penser qu'il n'était jamais sorti...
L'imagination et l'esprit critique sont chez Borges une seule et même chose, et le fantastique naît d'une réflexion aiguë sur le monde et les ouvrages de l'esprit. On reconnaît bien, dans ces Enquêtes, la même substance dont sont faites les célèbres nouvelles de Fictions, les mêmes thèmes sur lesquels l'auteur exerce sans fin son esprit : la multiplicité du monde, ses pièges et ses détours, l'irréalité du moi, l'inconsistance du temps, l'obscurité de l'être, les paradoxes de toutes sortes de l'univers. Mais on y trouve en outre une curiosité ouverte et multiple, une intuition parfois étonnamment concrète des êtres auxquels il s'intéresse. Les épisodes les plus divers de l'histoire des empires, des philosophies ou des littératures ne sont pas seulement un prétexte à de triomphantes - et déroutantes - investigations. Il arrive que Borges, sans cesser d'être Borges, éclaire d'un jour profondément sympathique une époque, une civilisation ou un auteur. Les Enquêtes, notes et méditations suggérées à un esprit sans pareil par une lecture infiniment variée, se présentent pourtant à nous comme autant d'oeuvres, courtes et achevées. On y retrouve cet art allusif, cette grâce sobre et difficile qui sont le secret de Borges.
«Borges savait que tout, à la longue, se convertirait en mots, et qu'il n'avait jamais douté que son destin était la littérature. Aussi a-t-il provoqué de nombreuses gloses étonnantes ; mais il n'a pas proposé une approche plus claire, plus précise de son intime vision d'écrivain, de créateur, que dans ses conférences, ses improvisations sur une tribune - ses confidences.»Hector Bianciotti.
Sur Conrad et Melville, Dante et Kipling, sur les westerns, la philosophie ou l'amour, Borges dit tout - le fond de sa pensée comme ce qu'il lui vient à l'esprit sur le moment, le plus subtil comme le plus désinvolte, le plus sérieux comme le plus badin...
Répondant aux questions d'Osvaldo Ferrari, il aborde tous les sujets, communique à travers eux l'essentiel de sa réflexion sur le monde et sur les livres, et donne à l'occasion une superbe leçon de littérature.
Vous trouverez ici réunis en un volume Borges en dialogues et Nouveaux dialogues, avec un prologue inédit d'Osvaldo Ferrari.
« Le dialogue avec Borges est une incursion dans la littérature même. Il permet d'être en contact avec l'esprit du littéraire. Borges lui-même m'avait affirmé qu'il voyait dans ces dialogues une forme indirecte d'écriture. Il continuait à écrire à travers les dialogues. Transcrivant les conversations, j'eus la certitude que Borges, en conversant, prolongeait son oeuvre écrite. À la magie de le lire correspond alors la magie de l'entendre.
Outre l'éthique, la religion, le temps, la pensée littéraire, objets d'une attention permanente, Borges se livre à quelques exercices d'admiration (Yeats, Shaw, Whitman) mais peut aussi s'attaquer à certaines idoles (Valéry, Joyce).
Mais par-dessus tout, ce qui ressort c'est l'esprit de Borges (...). » OSVALDO FERRARI Vous trouverez ici réunis en un volume Ultimes dialogues et Retrouvailles, avec un prologue inédit d'Osvaldo Ferrari.
En El hacedor confluyen las simbologías de Oriente y Occidente, el cosmos y las cosmogonías, los siglos, las dinastías, lo universal y lo profundamente local: Heráclito, Homero, Dante con Rosas, Facundo y Juan Muraña. Tal diversidad de temas se corresponde con una multiplicidad de géneros. Así, los relatos, poemas y ensayos de estas páginas terminan configurando uno de los libros más personales del autor; una miscelánea que da cuenta de las preocupaciones que recorren toda la obra borgiana.
«Malgré une éclipse considérable de trente ans entre son troisième recueil - Cuaderno San Martin (1929) - et son quatrième - L'Auteur (1960) -, durant laquelle il a composé ses proses les plus mémorables, Borges n'a cessé, sinon de publier, du moins d'écrire de la poésie. Peut-être parce que le poème relève pour lui d'une nécessité existentielle. S'il y a recours aux mêmes obsessions et paradoxes qui ont fait la célébrité de ses récits - labyrinthes, tigres et miroirs, jeux sur le temps, l'espace ou l'identité, mais aussi mythologie de faubourgs, de malfrats, de guitare et de couteaux qui est celle de la milonga et du tango, à laquelle il restera attaché toute sa vie -, c'est moins pour nous plonger et nous perdre dans leur fascinant vertige, que pour les interroger ou nous en communiquer mezza voce l'inquiétante familiarité. Dans ses poèmes, Borges médite et chante. Et ce croisement de pensée et d'émotion leur donne ce mélange très particulier de rigueur et d'abandon, d'emphase maîtrisée et de simplicité retorse qui fait leur tonalité singulière. Quelque chose qui hésite, entre le vers bien frappé et la confidence chuchotée, entre l'épique et l'élégiaque, entre le baroque et, nous dit Borges, non pas la simplicité, qui n'est rien, mais la modeste et secrète complexité.» Jacques Ancet.