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Gallimard
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Bienvenue dans le monde de la politique d'identité, qui, d'Amérique jusqu'ici, est en passe de devenir notre horizon commun. Selon la bonne nouvelle identitaire répandue chaque seconde par le brouhaha de la communication et le babil des «réseaux sociaux», nous agissons, vivons et pensons en tant que catégories, au besoin croisées (par exemple homme blanc juif, LGTBQIA) et volontiers blessées.
Comme le révèle son expérience américaine et préfiguratrice, qui diffuse à partir du foyer des universités, la politique d'identité conforte l'avènement d'un despotisme démocratisé, où le pouvoir autoritaire n'est plus entre les seules mains du tyran, du parti ou de l'État, mais à la portée d'êtres manufacturés et interconnectés que traversent des types de désirs totalitaires. Cet ordre mondialisé est une dictature moralisatrice qui distribue les prébendes en fonction du même, qui remplace le dialogue par le soliloque plaintif et la vocifération, qui interdit, qui censure l'inattendu - dont les arts - au nom du déjà-dit et des comme-nous.
Malgré son succès grandissant, une telle entreprise peut encore être défaite, à condition, du moins, d'en vouloir comprendre les manifestations contemporaines.
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Ce récit se présente comme "un arpentage du contemporain", selon les propres mots de l'auteur, à partir de l'expérience subjective et théorique qui est la sienne. Laurent Dubreuil y évoque notre époque et ses nouveaux rapports à la fiction, sur un mode d'écriture où se déploie un je mi-fictif, mi-théorique. La première partie, qui est la plus réflexive, s'inscrit dans la tradition d'écriture philosophique et sapientiale ouverte en particulier par les Latins (Sénèque, Cicéron).
Le seconde s'apparente au récit barthésien, voire à Rousseau, celui des Rêveries du promeneur solitaire
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«Nous avions été tour à tour les descendants d'un soulèvement, les rejetons bâtards des fleurs et du pouvoir, les enragés déçus de l'espérance, les anéantis dépressifs ou blasés sur le point de rentrer dans le rang. Sans aucun doute, nous étions souffrants. Une nuit, quelqu'un risqua ce diagnostic : peut-être s'agit-il d'un nouveau mal du siècle? Le mot de romantisme fut ainsi prononcé à demi! Nous n'avions jusqu'alors guère attaché d'importance à ce substantif racorni, miteux. Pourtant, le rêve clandestin et vif d'une régénération avait survécu dans l'art que nous chérissions en secret. Un tel songe ramenait avec lui les promesses de l'adolescence, le lyrisme de la nature, l'enthousiasme. Je ne pouvais plus croire à la manière d'autrefois ; mais j'avais bien l'intention de reprendre à coeur le projet du romantisme, quitte à en dévoyer l'histoire ou la doctrine. Il nous fallait donc rassembler les forces dissipées, retrouver le goût des préludes, réactiver la mémoire dans le sens de l'avenir, inventer après Chateaubriand ou Poe de nouvelles Amériques, et ne plus cesser de jouer avec le feu ou l'orage.»