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Roger Grenier
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Légers, amusants, pénétrants, fantaisistes, parfois sarcastiques mais finalement toujours indulgents, ces portraits du monde littéraire forment un ensemble sur lequel Roger Grenier travaillait à la fin de sa vie. On trouvera ici également trois nouvelles inédites ainsi qu'un texte sur L'Illustration, cette revue qui fit le bonheur des foyers français et qui donne à l'auteur de Ciné-roman l'occasion d'évoquer, bien à sa manière, la guerre, qu'il avait en horreur. On verra passer au fil de ces pages les ombres d'une foule de personnages obscurs ou glorieux qui ont hanté la littérature du vingtième siècle et les couloirs de la maison Gallimard, figures qu'en trois mots Roger Grenier sait rendre attachantes ou révélatrices, comme un dessinateur de procès d'assises au trait rapide et sûr.
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Regardez la neige qui tombe ; impressions de Tchékhov
Roger Grenier
- Folio
- Folio
- 11 Avril 1997
- 9782070402038
Un jour lointain, quelqu'un me dit : Tu devrais lire Tchékhov. Il me semble que c'est une littérature pour toi. Maintenant j'ai l'impression que j'ai appris à lire dans son oeuvre et qu'à travers l'individu nommé Tchékhov qui vécut si loin d'ici, il y a un siècle, je reconnais et j'aime tout ce que l'on peut savoir d'un homme, les qualités et aussi les défauts. Comme le dit Alexandre Zinoviev, à propos de Tchékhov précisément, chacun cherche dans autrui le reflet de sa propre perversité. Encore plus quand il s'agit d'un écrivain, cette variété assez particulière du genre humain qui envoie à dieu sait qui un message crypté, en craignant et souhaitant tout à la fois qu'un inconnu soit capable de le percer à jour.
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Voici le parcours de Camus, oeuvre par oeuvre, de ses premières pages jusqu'aux dernières. Comment chaque livre fut écrit, comment il fut reçu en son temps, ce qu'en pense le lecteur d'aujourd'hui. On assiste aussi à la formation et à l'évolution d'un homme. À travers les récits, les essais, le théâtre d'un artiste attaché à créer ses propres mythes, on découvre ses sources les plus profondes. Ils ne disent pas seulement l'absurde et la révolte. On peut discerner en eux une émotion plus intime dont l'origine est «l'admirable silence d'une mère et l'effort d'un homme pour retrouver une justice ou un amour qui équilibre ce silence».
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En prenant des chemins quelque peu buissonniers, par exemple en allant voir quelle place les écrivains donnent aux faits divers, aux délices et aux affres de l'attente, à la tentation de l'inachevé, aux rapports entre vie privée et écriture, à la façon d'écrire l'amour, ces essais adoptent tout naturellement la revendication de Baudelaire sur le droit de se contredire. Et ils aboutissent à deux questions : Qu'est-ce qu'écrire ? Écrire est-il une raison de vivre ? L'une et l'autre, on s'en doute, ne peuvent que rester sans réponse.
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«Beaucoup de chiens s'appellent Ulysse. Mais le chien d'Ulysse, comment s'appelait-il ? Argos. Il attend son maître dans des conditions moins confortables que Pénélope. Toujours prudent, le roi d'Ithaque, quand il aborde enfin son île, s'est rendu méconnaissable, avec la complicité d'Athéna. Et pourtant, Argos le reconnaît. Négligé maintenant en l'absence du maître, il gisait, étendu devant le portail, sur le tas de fumier des mulets et des boeufs où les serviteurs d'Ulysse venaient prendre de quoi fumer le grand domaine ; c'est là qu'Argos était couché, couvert de poux. Il reconnut Ulysse en l'homme qui venait et, remuant la queue, coucha les deux oreilles : la force lui manqua pour s'approcher de son maître. Ulysse l'avait vu : il détourna la tête en essuyant une larme... Poséidon, avec l'esprit vindicatif qu'on connaît aux dieux, s'était en vain acharné sur Ulysse. Mais lui arracher une larme n'a été donné qu'à son vieux chien.»
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«Beaucoup de fils ont écrit sur leur mère, sur l'amour ou bien la haine qu'ils se portaient mutuellement. Ce que j'entreprends est différent. Je me suis mis à envisager la mienne non comme ma mère, mais comme un personnage de roman. Une femme dont la vie fut riche, imprévue, mouvementée, dramatique. Un être humain ni plus ni moins mystérieux que tous ceux que nous croyons connaître. Quelqu'un qui vous inspire l'envie de dessiner un portrait et le plaisir de raconter une histoire. On trouvera peut-être ici une clé pour certains de mes romans, comme Le Palais d'Hiver ou Ciné-roman. Ici, la mère est peinte dans sa vérité, même s'il reste beaucoup à supposer, à imaginer, à inventer sur ce personnage toujours double : la mère et une inconnue.» Roger Grenier.
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«La danseuse numéro 12, celle aux jolis bras minces, s'effondra. Dans sa chute, elle entraîna son partenaire, qui n'avait plus la force de la soutenir. Deux autres couples trébuchèrent et tombèrent sur eux. Le speaker, fatigué lui aussi, haussa à peine le ton pour commenter la chute. Les soigneurs se précipitèrent sur le ring. Deux hommes et une femme s'étaient relevés. Un couple s'était même reformé et recommençait à se traîner le long des cordes. Mais il fallut emporter dans les vestiaires un homme et deux femmes. Au bout d'un moment, le disque qui était en train de passer fut interrompu et le speaker demanda s'il y avait un médecin dans la salle.»
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«Raymond, tout rond dans son costume de polichinelle, se lève en roulant des bosses. Rubans au vent, il se dirige vers l'estrade, applaudi, acclamé. Il rouvre le piano, s'assied. Il commence par son one-step favori qu'il accompagne d'onomatopées : - Tra-la la la la la-la la la la-tra la la la...Ce n'est qu'un air à la mode, une rengaine de l'année 1923. Mais Lydia et tous ceux qui sont là, pourront-ils, dans dix ans, dans vingt ans ou dans trente, pourront-ils, s'ils vivent encore, entendre cet air sautillant sans pleurer leur jeunesse, et sans revoir le pauvre Raymond Casadebat qui les faisait danser, au Palais d'Hiver, après le départ de l'orchestre...»
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Correspondance, 1950-1983 ; Brassaï et les lumières de la ville
Brassaï
- GALLIMARD
- Blanche
- 20 Avril 2017
- 9782070196951
Brassaï est arrivé à Paris en 1924 pour devenir peintre. Mais ce sont ses errances nocturnes avec ses amis artistes qui l'ont métamorphosé en photographe, aidé par les conseils de son compatriote André Kertész, le premier à prendre des photos de nuit. En 1932, il publie l'album Paris de nuit qui lui apporte aussitôt la célébrité, il collabore à la revue surréaliste Le Minotaure et rencontre Picasso dont il photographie les sculptures au château de Boisgeloup.
Roger Grenier a vécu sa jeunesse à Pau, où il a rencontré Gilberte, future épouse de Brassaï. Journaliste à Paris depuis la Libération, il lui trouve un travail grâce auquel elle rencontre le photographe en 1945. Les deux hommes deviennent très liés et leur amitié durera jusqu'à la mort de Brassaï.
Comme l'écrit Roger Grenier dans son texte qui évoque leurs trente-trois ans d'amitié : «Venant de Brasso, en Transylvanie, il trouva avec nous une nouvelle famille. Je pense souvent que c'est moi qui l'ai marié, à la mairie du XIVe et à Notre-Dame-des-Champs, et c'est moi qui l'ai enterré, au cimetière Montparnasse».
Dans les nombreuses lettres et cartes postales que Brassaï adresse à son ami Roger, défilent voyages et projets du célèbre photographe, qui prépare ses livres sur d'illustres amis tels que Picasso et Henry Miller, termine l'édition du Paris secret des années 30, ou se met à la sculpture.
Cette correspondance inédite donne le portrait sans retouches de l'un des plus grands photographes du XXe siècle.
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« Un artiste prometteur », ce sont les termes employés par Georges Pompidou pour parler de Youla Chapoval, quelques années avant sa propre mort. « C'est le premier artiste que j'ai acheté, il est mort jeune. Trop jeune », confiait le Président de la République avec émotion en commentant une oeuvre du peintre, alors qu'il ouvrait les portes de sa résidence secondaire d'Orvilliers à la télévision française de l'époque.
En l'espace de presque 10 ans - de 1942 à 1951 -, ce peintre russe de la Deuxième École de Paris s'est fait reconnaître par ses contemporains, artistes, critiques et collectionneurs d'art. Sa mort brutale et mystérieuse en 1951, alors qu'il n'a que 32 ans, met fin à une carrière qui atteignait tout juste sa maturité, les dernières oeuvres de l'artiste étant empreintes d'une esthétique libre et poétique, affranchie de toute influence.
Le catalogue que lui consacrent les galeries Alain Le Gaillard, Laurentin et Le Minotaure propose une vue d'ensemble sur cette trajectoire fulgurante, sur cette décennie de création acharnée, marquée par un style pictural qui n'aura cessé d'évoluer. À travers une sélection d'huiles, d'oeuvres sur papier et de lithographies, l'ouvrage illustre cette évolution, ce passage remarquablement rapide d'un style figuratif académique à une abstraction lyrique et « humaniste », via un cubisme librement interprété.
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«J'ai écrit ces impressions sur Pascal Pia peu à peu, chaque fois que je m'interrogeais sur son personnage et sur ce qu'il représente pour moi. Je n'avais pas l'intention de les publier. D'ailleurs, j'ai conscience de n'avoir pas dit le dernier mot. Et comment trouver le dernier mot, avec Pia ? De son côté, il avait interdit que l'on parlât de lui après sa mort. Mais, aujourd'hui, plus d'un signe laisse à penser qu'un mythe est en train de se former. Si l'on ne veut pas que l'homme soit tout à fait enseveli sous la légende, ou qu'un industrieux de la biographie s'en empare, ceux qui l'ont connu doivent dire le peu qu'ils savent. Je ne l'ai pas fait sans un sentiment de culpabilité, ne pouvant m'empêcher de me demander si, comme il le pensait, à l'histrionisme de la parole et de l'écrit, il ne vaudrait pas mieux préférer le silence.» Roger Grenier.
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Il est des maladies qui sont des aventures. Adrien Laplace se trouve d'abord pris en charge par une charmante amie, Charlotte. Puis surgit un inquiétant médecin, le docteur Prados. Et bientôt Luciana, la femme de ce médecin, entre dans ses pensées. Dans le Paris des années cinquante, les Prados sont des exilés qui ont perdu pour toujours la patrie d'origine. C'est à leur exil que fait allusion le titre du roman, Il te faudra quitter Florence. Il est emprunté à un vers de Dante, une prophétie qu'entend le poète et qui lui annonce qu'il sera banni. Adrien, lui, connaît une autre sorte d'exil. De plus en plus fasciné par Luciana, il est entraîné loin de ses habitudes, de ses amis, de son métier, dans une chute qui paraît ne jamais devoir finir. Du jour où il connaît les Prados, il va de surprise en surprise. Mais, dans ce jeu, le plus coupable est aussi une victime, et la victime a sa part de culpabilité. On ne peut en dire davantage, pour ne pas dévoiler le noeud secret de cette histoire aux rebondissements tantôt pittoresques, tantôt tragiques. Ajoutons seulement que certains hommes, après avoir coulé au fond du malheur, sont doués par la nature de la faculté de refaire surface. Les voici prêts à recommencer les mêmes folies, à montrer la même faiblesse, à se laisser attirer par le même genre de personnages et de situations. Luciana, pourtant, ne croyait-on pas qu'elle serait à jamais la seule digne d'un grand amour, l'unique et irremplaçable bien-aimée ?
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Le gros Charles Merlin avait gâché sa vie par étourderie, explique le narrateur, son ami. Il ajoute aussitôt : «Et si je faisais un retour sur moi-même, je devais constater que mon fatalisme un peu sombre m'avait conduit [...] au même résultat.»L'un est un enfant gâté qui croit que tout s'achète : les amis, les femmes, et, quand vient la guerre, la sécurité. Il finira mal.L'autre semble vivre par procuration. Il préfère aider un peu tout le monde que de songer à une situation. Il est incapable d'aimer d'autres femmes que celles des autres.Et le Pierrot Noir, au fait ? C'est le nom d'une baraque foraine d'autrefois. C'est une des images de ce roman où l'on se laisse prendre par la musique du temps, des amours perdues, de la séparation.
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«En photographie, l'instantané est le contraire de la pose. Les auteurs dont j'ai saisi ici quelques instantanés ne posent pas. Il ne s'agit ni de biographie ni d'études de leurs oeuvres. Simplement du souvenir que je garde d'eux. On reverra Dominique Aury entourée de ses animaux favoris, Albert Camus à Combat, Julio Cortazar, aussi insolite dans sa vie que dans ses nouvelles, Gaston Gallimard quant il était un jeune homme fou de littérature, Romain Gary mon voisin de la rue du Bac, Ionesco de retour en Mayenne, son pays d'enfance, Raymond Queneau tenant dans ses bras sa petite chienne tibétaine. Claude Roy sur le pont des Arts. Et l'on entendra de nouvelles paroles de Prévert. Vingt-cinq portraits. Tous ceux dont je parle ici, ou presque tous, je les ai connus personnellement. Et je continue à penser à eux, toujours avec sympathie et, pour quelques-uns, avec affection.» Roger Grenier.
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Pierre Marsan est photographe dans une petite ville des Pyrénées, sous l'Occupation, quand une jeune fille, Constance Klotz, lui demande de l'aider à passer en Espagne. C'est la première des embuscades. Pierre sera entraîné loin de sa baraque de photographe. Le voici en prison, à l'Hôtel-de-Ville, pendant la libération de Paris, en Grèce pendant la guerre civile, bref dans la plupart des aventures qui furent la couleur du temps et la trame des jours pour toute une génération, celle qui avait vingt ans en 1939.
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«Trois années, de Tchekhov, est une nouvelle qui vous donne immédiatement envie de la porter à la scène. Tout y est : un homme et une femme qui s'aiment à contretemps, la province et Moscou, une galerie de personnages hauts en couleur. Et surtout, ces trois années qui passent et vont transformer les êtres, leurs passions, leur destin. C'est le temps qui jette les hommes et les femmes dans des sentiments imprévus, entre les rêves et la déception, l'amour et le désamour, la mélancolie et la gaieté, le rire et les larmes.» Roger Grenier.
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Poursuivant la galerie de portraits qu'il avait inaugurée avec un premier volume d'Instantanés, l'auteur évoque ses souvenirs à propos de Gaston Bachelard, Hector Bianciotti, Roger Caillois, Louis Guilloux, J.-B. Pontalis et quelques autres. Il témoigne de son admiration et de son amitié.
Un ultime chapitre, pour rire, traite des belles fréquentations du chien Ulysse qui, partageant une vie d'éditeur, a entretenu des relations cordiales avec Aragon, René Char, Massin, Claude Roy, Marguerite Yourcenar, Kundera, Ionesco, Dominique Aury, Raymond Queneau, Claude Chabrol, Romain Gary...
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Que peut-il arriver à une jeune femme d'aujourd'hui qui vit dans le pays de Madame Bovary ? La première de ces quatre histoires, Normandie, nous le révèle. Ailleurs, c'est une «éducation sentimentale» qui attend un jeune assistant de la radio, celui qui dit Je parle tout seul, alors qu'avec toute une troupe il participe à l'enregistrement d'une émission sur la vie de Scott Fitzgerald. Amours et drames sont au rendez-vous, dans la réalité comme dans la fiction. Bien souvent, les paroles désenchantées de Scott et de Zelda vont sonner trop vraies aux oreilles des comédiens et des techniciens. Les amours du poète rapporte le dialogue doux-amer d'un vieux poète avec une étudiante qui a entrepris de lui consacrer une thèse. Sa vie, son art, ses sources, les femmes qu'il a aimées, son idée de la poésie sont passés en revue, pour cette thèse qui ne sera jamais terminée. Car l'étudiante, elle aussi, a ses amours. Et La mare d'Auteuil ? Le lecteur se souvient peut-être que, dans le roman de George Du Maurier, c'est au bord de cette pièce d'eau que Peter Ibbetson rencontre la petite Mimsey qui partagera à jamais son amour, de façon magique. Antoine Porteau, toute sa vie bafoué par une femme, va trouver le geste fou et sublime qui le rend digne de son grand modèle. Quatre histoires qui nous disent, en passant, que la vie n'échappe pas à la littérature.
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Trois heures du matin ; Scott Fitzgerald
Roger Grenier
- GALLIMARD
- L'un Et L'autre
- 3 Novembre 1995
- 9782070743506
«Quelle image surgit au nom de Francis Scott Fitzgerald ?
Le Fitzgerald de la défaite, de La Fêlure ?
L'excentrique de l'âge du jazz qui éprouve toujours le besoin de se faire remarquer et de se rendre insupportable ?
Le romancier respectueux de son art, mais qui gaspille son talent à écrire des nouvelles pour les magazines, parce que les besoins d'argent le prennent à la gorge ?
Le compagnon de Ring Lardner, de Hemingway, de Dos Passos, toujours prêt à aider les autres de ses conseils et à faire jouer son influence en leur faveur ?
Celui qui a la folie de trop demander à la vie et la sagesse de préférer l'écriture à tout le reste ?
Celui qui croit que l'on peut "tenir en équilibre le sentiment de la futilité de l'effort et le sentiment de la nécessité du combat ; la conviction de l'inéluctabilité de l'échec et pourtant la résolution de réussir" ?»
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«Je ne sais pas si je suis un provincial ou un Parisien. Je suis né par hasard en Normandie. Pau et le Béarn où j'ai passé mon enfance et mon adolescence m'ont inspiré une bonne partie de mes livres. Mais ma ville, c'est Paris. J'ai l'impression que les vrais Parisiens sont ceux qui sont nés ailleurs et pour qui vivre à Paris est une conquête. Il me suffit de passer sur un pont de la Seine, et je m'émerveille. Des ciels incomparables! Ce n'est pas un rêve, je suis à Paris!» Roger Grenier.
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Brefs récits pour une longue histoire
Roger Grenier
- GALLIMARD
- Blanche
- 27 Septembre 2012
- 9782070137824
Une nouvelle est en général un bref instant de vie, dérobé au temps, un court morceau de la réalité découpé net. Peu respectueuses de la norme, la plupart de celles que voici s'étendent souvent sur de grandes périodes, parfois sur toute une existence.
Un paisible ménage à trois qui ne finit que par une double infidélité. Un vieil homme qui, en réfléchissant sur son passé, se condamne lui-même à mort. Un musicien de brasserie qui, le violoncelle sur le dos, erre à la recherche de l'amour. Le destin d'une femme qui a été vamp au cinéma, dompteuse de tigres et bonne de curé. Une bavarde qui réussit à ennuyer son amant au-delà de la mort. Deux anciens collègues qui n'arrivent pas à se mettre d'accord sur leurs souvenirs. Et surtout, ce 'Bref récit pour une longue histoire' qui commence dès l'enfance, et se déroule au cours de très nombreuses années, jusqu'à ce qu'il se perde dans les sables du temps.
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Le peintre Alexis Vallée et sa femme Nina ne s'entendaient pas très bien, mais ils ne voulaient pas se l'avouer. Et voici que Nina retrouve une amie de lycée, Geneviève, mariée à un riche homme d'affaires, Charles Trémulat, qui les entraîne au sein d'une société disparate. On y trouve aussi bien un footballeur célèbre, Christian Marmande, qu'un comique de music-hall, Batifol, ou qu'un poète soi-disant occitan, Ange Marino-Gritti. Tandis que Nina devient sans hésiter la maîtresse du footballeur, Alexis s'éprend de Geneviève, l'étrange, l'insaisissable. La passion va-t-elle enfin arracher Alexis, Geneviève et quelques autres à leur foncière mélancolie, à leur peur de vivre ? Non. Leurs actes, leurs pensées, bref leur destin ressemblent à cette danse ancienne, cette chaconne que l'on appelait la Follia, ou encore la Folie d'Espagne, dans laquelle les partenaires seuls, face à face, glissent et se touchent à peine, avides d'être transfigurés par la musique de l'amour, mais trop inquiets pour s'y abandonner. Mais il n'est pas besoin d'agir pour que des drames éclatent et que le temps vous emporte. Et quand apparaît, à la fin, la fille de Geneviève, devenue à son tour une femme meurtrie, sa seule présence nous dit combien notre trace est légère, vite effacée.
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Les nouvelles sont à l'écrivain ce que les variations sont au musicien. C'est une façon d'approfondir certains thèmes, et de trouver des formes nouvelles pour dire toujours les mêmes choses, celles qui lui tiennent à coeur. Ici, il pourrait s'agir de répéter combien la vie semble brève et longue à la fois, combien est étroit le temps qui sépare l'apprentissage de la décrépitude. On voit d'abord des jeunes gens faire leurs débuts en trébuchant, connaître leurs premières expériences comiques, ou dramatiques. Puis, par une sorte de glissando, on arrive à des histoires qui ont un goût de fin de partie. Les personnages en sont une cartomancienne et sa pratique, des officiers esthètes et protecteurs des arts, un directeur d'école volage, un troufion passant un triste Noël, un jeune rond-de-cuir qui attend une belle visiteuse, un égoïste confiseur à la retraite, un impie sévèrement puni, une star sur l'éternel retour. On voit aussi un homme qui se trouve trop vieux pour les joies de mai 1968, une dame qui s'était égarée dans une grotte, un pauvre diable et un mauvais ange. Enfin le roman de deux promeneurs explorant un Paris funèbre et peu connu. Et, tandis que, sans bruit, le temps les change, leur regard sur la ville, sur eux-mêmes, rejoint celui de l'écrivain, peut-être celui du lecteur, en leur faisant partager une émotion, un sens presque musical de la vie, sans lesquels il n'y a pas d'écriture.
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Tout au long des deux nouvelles composant l'ouvrage - presque des romans à cause de leur densité - on perçoit la voix d'ironie légère, douloureuse et tendre de l'auteur, «en écho» par rapport à la narration. Et c'est probablement ce ton sourd, mais violent à force de retenue, qui émeut. Les personnages de La croisière nous sont si naturels et sans surprise qu'on croit les inventer à mesure : Irène et Judith, laborantines en produits de beauté, partent en croisière de vacances dans les îles d'un pays latin où grondent l'émeute et les répressions policières. Et si l'aventure surgit en pleine mer avec de la musique et de la danse, de l'amour et du rire, elle ramène au port deux jeunes femmes confrontées soudain à la tragédie. Plus dépouillé encore est le récit Les cariatides. Pour la guérir d'une dépression nerveuse, Jacques conduit sa jeune femme Monique dans une luxueuse maison de fous des environs de Paris. Tout est dit, rien n'est dit entre ces deux êtres infiniment proches. La pudeur les préservera toujours du terrible aveu : l'existence ne serait-elle pas une maladie incurable oscillant entre le bonheur et le malheur et dont il faut absolument trouver la voie médiane si l'on veut survivre ?