Ils ont tout enduré. Ils ont vu leur pays si riche devenir le plus pauvre du monde. Ils ont vu disparaître électricité, eau, routes, hôpitaux et écoles - eux qui avaient été le phare universitaire de l'Afrique de l'Ouest. Ils ont connu l'État policier et le parti unique. Ils ont subi la terreur des seigneurs de guerre et des cortèges d'enfants soldats drogués jusqu'aux yeux. Ils ont nourri les prébendiers, hébergé les vendeurs d'Évangile et les pilleurs de diamant. Ils ont traversé l'épouvante de la plus grande épidémie de fièvre Ébola. Pourtant, ils n'ont jamais perdu le sens de l'entraide, une tolérance religieuse hors du commun, un humour inébranlable, et le goût de la liberté.
Voici l'épopée tragique et héroïque du peuple sierra léonais, ces maîtres de l'endurance, capables de supporter l'intolérable et de le surmonter sans perdre leur âme. Un récit de la condition humaine dans tous ses extrêmes, mais d'où émergent toujours le chant souverain de l'ironie, une bienveillance apaisante et la force de l'espérance.
En 1990, Thierry Cruvellier a débarqué comme journaliste à Freetown, capitale de la Sierra Leone, « ville des hommes libres » fondée deux cents ans plus tôt par des esclaves émancipés.
Depuis vingt-cinq ans, il n'a cessé d'y retourner. Immergé au coeur de la vie locale, il en a retiré des amitiés pour la vie, le goût des chants, du théâtre et de la conversation sierra léonaise, ainsi qu'un sens particulier du rire devant la répétition en litanie des vices politiques universels de la lâcheté, de la corruption, de la rapacité hypocrite, de l'irresponsabilité.
Grand reporter des procès pour crimes contre l'humanité, Thierry Cruvellier poursuit ici son travail à la fois distant et intime sur l'homme en condition extrême. Une histoire d'hommes et de femmes simples et extraordinaires qui résistent dans un environnement où l'on est moins jugé par ses accomplissements que par la seule endurance de son intégrité morale.
Dans la tradition des grands témoignages d'une merveilleuse qualité littéraire, une chronique qui mêle le réalisme de récits croisés, la puissance méditative de la réflexion personnelle et la musicalité poétique de la langue krio.
Phnom Penh, mars 2009. Kaing Guek Eav, plus connu sous le nom de Douch, responsable de la torture et de la mort de plus de 12 000 victimes à la prison de Tuol Sleng (S-21), est seul derrière une vitre insonorisée : seul face à la justice internationale, seul face aux familles de ses victimes, seul peut-être plus que tout face à lui-même, à l'étendue d'un crime impossible à sonder, impossible à pardonner. Le maître des aveux est une saisissante évocation de son destin, mais aussi de l'étonnante « comédie humaine », tour à tour bouleversante et déroutante, qui s'est déroulée autour de son procès. Thierry Cruvellier est le seul journaliste français qui a assisté à la totalité de ce procès, du premier au dernier jour, qui a vu un événement remarquable et peu noté : pour la première fois devant un de ces tribunaux, un accusé qui reconnaissait sa responsabilité personnelle dans des crimes innommables, plaidait coupable et demandait pardon aux victimes, était à la barre pendant six mois à essayer d'expliquer et de s'expliquer. Ce procès allait-il se dérouler à contre-courant des attentes et apporter enfin, pour la première fois, apaisement aux victimes ? Allait-il dessiner la figure d'un bourreau « différent » ? Allait-il jouer ce rôle toujours attendu et jamais réalisé de « procès pour l'histoire » ? C'est la tragédie particulière, jusqu'à son coup de théâtre final, du procès du génocide khmer rouge qu'il n'en ait, en fait, rien été, et que le bouleversement des rituels attendus ait provoqué des moments d'une intensité exceptionnelle, des scènes d'une émotion considérable, des joutes médiocres et magnifiques - et au final une amertume profonde chez tous les acteurs de cette pièce. Il fallait pour écrire ce livre un ensemble de qualités presque impossible : une connaissance, une expérience, une discrétion, mais surtout, tout simplement un talent doublé d'une humanité profonde.
en 1994, au lendemain du génocide perpétré au rwanda, l'onu décide d'en poursuivre et d'en juger les principaux auteurs. elle crée le tribunal pénal international pour le rwanda, établi à arusha, en tanzanie. sur les pas du tribunal pour l'ex-yougoslavie, il suscite d'énormes espoirs. on parle d'un nouveau nuremberg.
le début des procès est laborieux. puis, sous l'impulsion de louise arbour, de spectaculaires arrestations ont lieu et les premiers aveux des génocidaires tombent. l'objectif du procureur canadien est de resserrer les poursuites autour des plus importants responsables du génocide - dans le droit fil de ce qui avait été réalisé à nuremberg. mais le grand projet s'enlise dans la procédure, tandis que la politique prend le pas sur le droit, au prix d'un double renoncement. il n'y aura pas d'enquête sur l'attentat contre l'avion du président rwandais, événement déclencheur du génocide. il n'y aura aucune mise en accusation pour les crimes commis par ceux qui sont sortis vainqueurs de la guerre civile. ainsi, les deux dossiers les plus politiquement sensibles sont écartés.
après dix années d'existence, le tribunal d'arusha, né d'un acte de contrition, démontre qu'il peut y avoir une justice plus partiale et moins courageuse que celle des vainqueurs.
thierry cruvellier, observateur assidu et minutieux de ces procès, en fait le récit, édifiant et implacable, en s'affranchissant des passions qui entourent cette page noire de l'histoire de l'humanité. à la lecture de ce livre, qui restitue l'exceptionnelle confrontation avec leurs juges d'hommes accusés du « crime des crimes », on ne peut douter un instant qu'il soit nécessaire de persévérer dans la poursuite et le jugement des auteurs de crimes contre l'humanité, où qu'ils se trouvent. mais pour ce faire, il faudra tirer les leçons d'arusha.