Vingt-sept ans durant, la mère abusive, noble et vulgaire, aura tricoté pour son fils, intellectuel génial, voué à finir proxénète, maquereau et espion. L'intervention de la drogue et celle, non moins théâtrale, du temps et de la mort permettent aux personnages de jouer jusqu'au délire le jeu de la vérité. Vérité d'enfer. Écrite en 1924, La Mère annonce certes le théâtre contemporain, Ionesco, Beckett. Mais le ton «slave» de cet humour noir ne le laisse confondre avec aucun autre.
Possédés tous du même appétit de puissance sans bornes, les personnages de cette pièce «tropico-australienne» n'ont pas assez d'une vie pour se poursuivre de leur amour et de leur haine. Ils ne s'entre-tuent que pour renaître pleins de la même ardeur meurtrière. Seul, le jeune Carmasiniello hésite quelque peu devant le destin auquel on le prépare, et qui va le changer en un Ubu comme les autres. Dans un mouvement de dérision effrénée, cette farce obéit moins aux règles du théâtre qu'à celles, profondes, ou, comme dit l'auteur, «métaphysiques», du rêve.
À la suite d'une liaison qui est devenue une habitude, la Poule d'Eau exige de son amant qu'il la tue. Ce qui, après quelques hésitations, est fait. Un étrange petit garçon surgit alors, de son propre rêve d'enfant, dirait-on. Il cherche farouchement un père et une mère, si farouchement qu'il finira par en trouver trop, et même un grand-père par-dessus le marché. Grâce à quoi, il deviendra un individu aussi banal et veule que le commun des mortels. Autour de lui chacun s'est enfermé dans ses obsessions personnelles que les retours et les métamorphoses de la Poule d'Eau ne feront que cristalliser jusqu'à la série d'explosions finale.