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Sarah Kofman
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« De lui, il me reste seulement le stylo. Je l'ai pris un jour dans le sac de ma mère où elle le gardait avec d'autres souvenirs de mon père. Un stylo comme l'on n'en fait plus, et qu'il fallait remplir avec de l'encre. Je m'en suis servie pendant toute ma scolarité. Il m'a «lâchée» avant que je puisse me décider à l'abandonner. Je le possède toujours, rafistolé avec du scotch, il est devant mes yeux sur ma table de travail et il me contraint à écrire, écrire. »
La philosophe Sarah Kofman est une enfant de sept ans lorsque a lieu la rafle du Vél' d'Hiv'. Le 16 juillet 1942, la police se présente au domicile familial et arrête son père, rabbin d'une petite synagogue du 18e arrondissement de Paris - il ne reviendra jamais.
Commence alors cette période où la famille doit se cacher, se séparer. Pour la fillette, qui vivait tout dans la découverte permanente, c'est comme une épopée, dont l'envers est un déchirement : entre le domicile familial et le lieu de refuge, entre sa mère et la « dame de la rue Labat » - entre deux langues, deux mondes que sépare à peine une rue, un abîme pourtant.
Paru en 1994, ce souvenir d'enfance témoigne de ce que fut la vie des Juifs sous la collaboration, l'Occupation, la guerre. Sarah Kofman en retrace aussi leur traversée comme un récit d'éducation et de rencontres, avec une simplicité et une concision remarquables. Cette nouvelle édition, annotée, est enrichie d'un inédit et des courts textes qu'elle avait le projet, inabouti, de réunir sous le titre : Autobiogravures.
Ce volume est le premier d'une réédition de l'oeuvre de Sarah Kofman par les éditions Verdier, sous la direction d'Isabelle Ullern. -
On se souvient de la célèbre phrase du Bélisaire de Marmontel, glosée par Voltaire, dans un chapitre de L'Ingénu?: « La vérité luit de sa propre lumière, et on n'éclaire pas les esprits avec les flammes des bûchers. » Bien évidemment, Voltaire ne croit pas au bon sens politique, à la justice évidente et immédiate, que la canaille voudrait faire partager. Il attend le jour où la lumière, qui est faite pour tout l'univers, sera perdue pour lui. Il voudrait savoir, les jours où il a envie de rire, de quoi il a peur. Et quand Lisbonne s'abîme dans la catastrophe, la vigueur de sa protestation se fonde sur un combat quotidien avec un Dieu cruel que l'horloger newtonien serait bien incapable de neutraliser.
Roger Kempf rappelle, dans son étude commémorative, que Flaubert aimait les petits romans de Voltaire, merveilles à jamais de promptitude, d'intrigues sautillantes et de terrible fantaisie. Le critique littéraire remonte aux répliques de Bouvard et Pécuchet (qui, eux aussi, ont peur), sans chercher la satire, l'élaboration d'une morale, d'une vision du monde, mais une curieuse, ou une inquiétante vélocité. On ne pleure plus, ne gémit plus, n'appelle plus sa mère, quand il faut moins de deux pages, au chapitre IX de Candide, pour que le héros se retrouve avec deux cadavres sur les bras et que Cunégonde puisse alors s'exclamer?: « Comment avez-vous fait, vous qui êtes si doux, pour tuer en deux minutes un juif et un prélat?? ».
Sarah Kofman écrit son texte dans les marges de Humain, trop humain, dédié à Voltaire. Elle y cherche un chemin qui, de Stendhal par Mérimée, et par le Nietzsche critique impitoyable de ses propres livres, mène au rejet, non seulement du sacerdoce, mais de tous les humanismes. En philosophe, elle aurait pu écrire un gros ouvrage sur l'époque enfouie où ceux qui avaient le don de vivacité savaient repérer le fourbe et bafouer la sottise chez l'ecclésiastique. Mais ce qui l'intéresse ici, c'est la gaieté de Zarathoustra qui a fait savoir qu'au moment où un dieu a voulu être le seul Dieu, les autres dieux furent pris de fou rire, jusqu'à mourir d'hilarité. Sarah Kofman, qui suit Zarathoustra dans le séisme qui vient de frapper Ischia, tente de comprendre pourquoi Nietzsche se disait jaloux de ce Voltaire qui lui aurait volé la meilleure définition du nihilisme, en prétendant que « ce qui excuse Dieu, c'est qu'il n'existe pas ».
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« Lire avec Nietzsche les «grands philosophes», c'est assister à un spectacle comique, à une «scène primitive» où les moindres méprises, les moindres faux-pas de ceux qui se donnent pour des maîtres à penser se trouvent remarqués avec une vigilance impitoyable. C'est dénoncer les enfantillages des vieux philosophes, les dépouiller de leur sérieux et de leur sénilité et faire rire à leur dépens.
Avec Nietzsche la philosophie entre dans le domaine de la comédie et il apparaît que le talent le plus propre - et aussi le plus dissimulé - du génie philosophique est un talent comique. Le philosophe est un comédien qui cache derrière le masque du spéculatif la fonction pharmaceutique de la philosophie, sa volonté la plus persistante : rendre tolérable l'intolérable. Volonté cathartique qui répète à sa manière le vouloir de la tragédie. Volonté déniée par les philosophes dont le fantasme le plus tenace a toujours été celui de l'autonomie, de l'indépendance à l'égard des forces pulsionnelles, dionysiaques. » S. K.
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« On ne propose pas dans ce livre une lecture exhaustive de «l'oeuvre» de «Jacques Derrida».
Corpus inachevé, morcelé, décentré, bousculant sens dessus dessous le logos traditionnel, le texte derridien ne se prête à aucun relevé de thèmes, à l'énoncé d'aucune thèse. À l'identité d'un signifié garantie par l'identité d'un auteur s'oppose l'étrange et inquiétante «disruption de l'écriture» effaçant nom propre, paternité et tout sens déchiffrable. Simplement donc trois lectures en marge des écrits d'un philosophe désormais incontournable.
Elles montrent comment le texte derridien croise, entre autres, celui de la psychanalyse ; comment celle-ci le fait proliférer et se trouve par lui sollicitée, déplacée, transformée. » S. K.
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Séductions ; de Sartre à Héraclite
Sarah Kofman
- Galilee
- La Philosophie En Effet
- 4 Janvier 1990
- 9782718603377
« Jouant de la séduction de son écriture, Diderot, dans La Religieuse, tente d'endormir la société de son temps pour mieux détruire l'une de ses institutions essentielles et dénoncer les moeurs dépravées des couvents : des femmes, enterrées vives, n'y peuvent satisfaire leurs désirs de façon naturelle et sont sujettes aux pires perversions. La prime de séduction offerte à la censure pour l'hypnotiser et faire passer la critique ne consiste-t-elle pas à maintenir en façade l'illusion d'une nature féminine inébranlable ? D'un instinct propre aux femmes : séduire. Le Philosophe des Lumières, au moment même où il s'efforce de dissiper les préjugés religieux, n'aura-t-il pas été contraint de reconduire ce vieux motif théologique avec lequel il conviendrait de rompre pour inventer une tout autre femme, une tout autre littérature ?
Ce livre contient quatre autres essais : une lecture des différentes interprétations de la fameuse obscurité d'Héraclite («Nietzsche et l'obscurité d'Héraclite») ; «Miroir et mirages oniriques» découvre en Platon un précurseur de Freud ; «Sartre, fort ou da ?» et «Le problème moral dans une philosophie de l'absurde» s'interrogent sur l'actualité de Sartre. » S. K.
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Le mépris des juifs : Nietzsche, les juifs, l'antisémitisme
Sarah Kofman
- Galilee
- 24 Février 1993
- 9782718604374
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Camera obscura ; de l'idéologie
Sarah Kofman
- Galilee
- La Philosophie En Effet
- 15 Janvier 1975
- 9782718600079
« Camera obscura : machine qu'utilisèrent des peintres comme Léonard de Vinci pour imiter la nature ; appareil de décalque et de transparence, révélateur de l'accord de l'homme avec le monde. Appareil de perspective destiné à éliminer tout perspectivisme. La camera obscura serait un oeil sans point de vue, regard de vue, regard de Dieu sur l'univers.
Pourtant, au xixe siècle, la chambre obscure reçoit une connotation négative. Elle est chez Marx la métaphore du renversement idéologique, chez Nietzsche celle du perspectivisme généralisé ; chez Freud, celle de l'inconscient. La chambre obscure voile les rapports réels, sépare la conscience d'elle-même et du monde. La clef de la chambre a été jetée. L'idée au logis tourne narcissiquement autour d'elle-même et enfante un monde fantasmagorique et fétichiste.
Connaître est-ce retrouver la clef, regarder par le trou de la serrure ? Ne demeure-t-on pas ainsi dans le champ idéologique de la Renaissance ? » S. K.
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Conversions ; le marchand de venise sous le signe de Saturne
Sarah Kofman
- Galilee
- 5 Janvier 1988
- 9782718603254
« Le Marchand de Venise de Shakespeare est-il une pièce antisémite ? Le Juif Shylock ne s'y trouve-t-il pas insulté, bafoué et sa conversion finale, forcée, présentée comme juste châtiment pour une folle cruauté ? Ce livre (qui, pas à pas, ébranle la lecture célèbre de Freud) montre que la conversion du Juif est seulement un cas particulier d'une convertibilité générale et réciproque (des personnages Antonio, Bassanio, Shylock et des métaux qu'ils figurent, le plomb, l'or, l'argent). Elle détient sa condition de possibilité dans l'ambivalence structurelle du Temps («thème» véritable, et non pas celui du choix des coffrets, et seul deus ex machina de ce drame baroque) dont la double face, gaie et mélancolique, commande toutes les conversions, tous les renversements catastrophiques. » S. K.
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Un métier impossible ; lecture de "constructions en analyse"
Sarah Kofman
- Galilee
- 25 Janvier 1983
- 9782718602417
« Constructions en analyse (1937) est une apologie du métier analytique : métier impossible où l'on est par avance sûr d'échouer, métier insolite, inclassable, ni science ni médecine ni religion, apparenté à toutes les pratiques occultes dont il opère la relève.
Freud s'y efforce de laver la psychanalyse du soupçon de maîtrise ; il y monte en épingle, exhibe l'étonnante performance de l'analyste, et relègue en coulisse le rôle par trop fascinant de l'analysé.
Plaidoyer tragique et farce pleine d'humour, la scène que joue Freud réussira-t-elle à désarmer les accusateurs, à mettre les rieurs du côté de l'analyste ?. » S. K.
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« Pourquoi rit-on ? En tentant de répondre à cette très sérieuse question, Freud et l'auteur de ce livre prennent au piège le mot d'esprit, ce coquin, ce Janus double face, qui, par ses ruses et ses traquenards, par ses tours et ses passes magiques, dignes du plus grand hypnotiseur, sidère, méduse, force le rire, sans que l'on sache ni de quoi ni pourquoi l'on rit. Et l'«on» rit pourtant, de façon neutre et anonyme, communiant, dans ce rire qui se propage contagieusement, avec toute l'assemblée fraternelle des hommes colportant de bouche en bouche la bonne nouvelle, l'annonce d'une terrible victoire : celle remportée sur la société et ses interdits qui, le temps d'une fête (totémique), le temps d'un mot, se trouvent levés dans l'euphorie, pour le plus grand allègement général. » S. K.
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Explosion Tome 1 ; de l'"ecce homo" de Nietzsche
Sarah Kofman
- Galilee
- La Philosophie En Effet
- 2 Octobre 1992
- 9782718603971
« «EcceHomo excède tellement le concept de littérature que même dans la nature, à vrai dire, la comparaison manque : il fait littéralement sauter l'histoire de l'humanité en deux, superlatif suprême de la dynamite.» Nietzsche porte ce jugement sur son Ecce Homo, au moment où il projette d'ébranler la terre entière en renversant tout ce qui jusqu'alors avait été sanctifié et idolâtré. Le philosophe qui s'autoprésente dans ce livre au titre parodique n'est pas un homme mais de la dynamite, «un terrifiant explosif qui met le monde entier en péril».
C'est pourquoi cette «autobiographie» est des plus étranges : l'autos y éclate en mille figures et masques qui font exploser l'identité supposée du narrateur qui signe du nom : Frédéric Nietzsche. Ecce Homo est le texte le plus dépersonnalisé qui soit. Une autobiographie de personne car son «héros» a en lui plus d'une personne et il n'est personne : rien qu'une accumulation prodigieuse de forces qui explosent.
Cette conception économique du vivant permet à Nietzsche de tenir à distance sa parenté biologique et tout ce qui a nom allemand pour s'inventer une origine qui remonte infiniment plus haut (César, Alexandre ou Dionysos pourraient être son père). Texte le plus inouï de toute la philosophie, et jugé par elle le plus fou, Ecce Homo a été rejeté ou réapproprié. La tentative la plus célèbre, celle de Heidegger, sauve Nietzsche de la folie mais pour mieux le perdre en faisant de son nom unique, le signe d'une pensée unique.
Lire ce texte autrement, sans vouloir sauver «la» pensée de Nietzsche - et il y en a plus d'une - au détriment de la «vie» et de l'écriture, exige de revenir à sa stricte littéralité. L'interrogeant et le suivant pas à pas (le faisant à son tour exploser), la lecture proposée est attentive à tout ce que ce «livre» garde encore pour nous aujourd'hui d'étrange, de dangereux et d'explosif.
S. K.
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Explosion Tome 2 ; les enfants de Nietzsche
Sarah Kofman
- Galilee
- La Philosophie En Effet
- 5 Octobre 1993
- 9782718604183
« Très curieux ! Depuis quatre semaine, je comprends mes ouvrages, mieux encore je les apprécie. Sérieusement, je n'ai jamais su leur signification (.). C'est la mère avec son enfant : elle l'aime peut-être mais avec une parfaite stupidité quant à savoir ce qu'est l'enfant. À présent, j'ai l'absolue conviction que tout est parfaitement réussi depuis le commencement, tout forme une unité et tend vers l'unité. » Lettre à Peter Gast, 22 décembre 1888.
Dans Pourquoi j'écris de si bons livres, Nietzsche relit ses oeuvres afin de leur rendre justice et de préserver en elles ce qui est digne de revenir éternellement. Sa lecture ou réécriture consiste à se réapproprier ce qu'il avait prêté à ses « maîtres » pour les réduire à des accessoires, de simples métaphores de « lui-même », le seul maître. Son geste autobiographique tend à affirmer un vouloir unique et souligne, dans l'après-coup, la continuité profonde de l'oeuvre : les textes dits de « jeunesse » (notion interrogée et subvertie dans Explosion II) anticiperaient l'histoire intime de son devenir, seraient prometteurs du Nietzsche à venir. Relire ses oeuvres, c'est donc les traduire, transcrire, corriger, remanier pour substituer tous les noms d'emprunt en un seul nom, le sien, c'est les faire renaître en les transfigurant pour les inscrire en un corpus unique, signé Nietzsche.
En poète (Dichter), Nietzsche recompose et ramène à l'unité ce qui était fragments, énigme, hasard. Après avoir fait exploser l'oeuvre réduite à l'état de matériaux, il la rédime en la soumettant à « sa » volonté artiste.
Poursuivant pas à pas la lecture d'Ecce Homo entamée dans Explosion I, Sarah Kofman pulvérise à son tour la « fiction » nietzschéenne : elle fait porter son soupçon sur cette volonté d'unification, ultime défense contre la folie, et en exhibe tous les ressorts.
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« Devenir écrivain, telle est l'ambition du chat Murr mis en scène par Hoffmann dans une oeuvre puissamment subversive, d'une extraordinaire modernité.
Chat : masque «hypocrite» qui tourne en dérision les comportements humains, renverse les hiérarchies, remet le bipède-homme à sa place en s'emparant de ses plumes ! Griffe féroce, diabolique, mortifère, qui déchire le livre, taille en pièces le volume clos : le chat Murr, greffant son autobiographie sur celle de Kreisler-Hoffmann, produit un livre monstrueux, une biographie bâtarde qui brouille les frontières de l'humanité et de l'animalité, de la vie et de la mort. Griffures qui écorchent le nom propre d'un auteur unique, raturant toute trace «biographique». Le Chat Murr, étoffe double face, tissée de façon rhapsodique, parodie du «roman de formation», transforme radicalement l'espace de l'écriture et de la lecture, entraîne le Livre dans la dérive de la folie et du rire. » S. K.
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Reseaux haut debut t.1 ; reseaux atm et reseaux locaux
Sarah Kofman
- Dunod
- 5 Janvier 2001
- 9782100049646
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Le portrait de Dorian Gray, exhibé dès les premières pages du livre de Wilde auquel il donne son titre, fascine d'emblée le lecteur.
La lecture proposée ici souligne que ce portrait, pour ainsi dire jeté en pâture, sert d'écran ou de paravent à un autre portrait encore plus séducteur et inquiétant, en général moins remarqué, celui de la mère morte, représentée en bacchante, qui le hante secrètement.
Outre « L'imposture de la beauté », ce recueil comprend une étude sur « Le Moïse de Michel-Ange » de Freud : « Un autre Moïse, ou la Force de la loi » ; deux lectures consacrées à Nietzsche : « Nietzsche et Wagner », « Nietzsche et Voltaire (Et pourtant elle tremble !) » ; « Un battu imbattable », à propos de Larmes de clown, du cinéaste Victor Sjöström ainsi que « Angoisse et catharsis », sur The Lady Vanishes, d'Alfred Hitchcock. -
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« De lui, il me reste seulement le stylo. Je l'ai pris un jour dans le sac de ma mère où elle le gardait avec d'autres souvenirs de mon père. Un stylo comme l'on n'en fait plus, et qu'il fallait remplir avec de l'encre. Je m'en suis servie pendant toute ma scolarité. Il m'a « lâchée » avant que je puisse me décider à l'abandonner. Je le possède toujours, rafistolé avec du scotch, il est devant les yeux sur ma table de travail et il me contraint à écrire, écrire. » S. K.