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P.O.L|P.O.L.
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« Voyez alors notre vieille. Elle passe les deux mains le long de la cicatrice, elle tâte : ça y est, elle a compris. Plaf ! le pied lui échappe des mains. Vlan ! c'est la jambe qui tombe dans la bassine ! Boum ! le bruit du bronze ! Et la voilà qui part à la renverse : et toute l'eau par terre ! Oh ! le plaisir, la douleur en même temps qui l'envahissent ! Ses deux yeux soudain pleins de larmes, sa voix chaude qui s'étrangle ! ».
L'Odyssée, chant XIX, vers 467-472.
Derrière tout grand roman, tout grand film, toute époque, aussi, et surtout la nôtre, il y a l'Odyssée. Alors, pour mieux voir, au cinéma de l'Aveugle Homère, les mésaventures du plus célèbre vagabond de la littérature, il faut peut-être mieux entendre, en français d'aujourd'hui, les mille bruits que fait la vieille langue grecque. C'est l'expérience de « vision vocale » que tente, dans la présente « version française », l'helléniste, récitant et musicien, Emmanuel Lascoux.
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Quand l'amour est comme le mien, juste un rêve solitaire infini, une insulte au malheur, un crachat à la face du destin, alors il élève ses flammes jusqu'aux cieux, il brûle et purifie tout et ne s'éteint jamais, ne se réduit jamais à un feu dans une cheminée qui réchauffe et apaise, qui illumine une maison bienheureuse.
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En avril 2021, Emmanuel Lascoux publiait sa « nouvelle version » de L'Odyssée d'Homère (P.O.L) qui créa la surprise. Il récidive aujourd'hui avec L'Iliade, dans une nouvelle traduction du texte grec d'Homère, à partir de son travail original sur le grec ancien qu'il rythme, chante et crie depuis plusieurs années. Cette épopée se déroule pendant la guerre de Troie entre les Achéens venus de toute la Grèce et les Troyens et leurs alliés, chaque camp étant soutenu par de multiples divinités comme Athéna, Poséidon ou Apollon. La « version » de Lascoux bouleverse également notre réception de cette épopée fondatrice. « Passez votre chemin, si vous cherchez la justice, écrit Lascoux dans une prodigieuse préface rédigée comme une dramaturgie sonore du texte homérique. Ici, tout est motif à protester, à sortir de ses gonds : la vie est doublement injuste pour les hommes, à commencer par sa fin, et à remonter toutes les frustrations qui la précèdent, et simplement injuste pour les dieux, si l'on en croit leurs sempiternelles protestations, et le rappel des mauvais moments de leur éternité. Le même Apollon, là, qui punit maintenant les Achéens, qui avantage les Troyens, rappelez-vous tout ce qu'il a souffert pour les bâtir, les murs de Troie, esclave de Laomédon, le père de Priam, avec l'autre grand coléreux, Poséidon, le dieu qui secoue terre et mer de ne pas avaler la manière dont Zeus et Hadès, ses deux frères, ont fait le partage au grand Yalta de la Seconde Guerre Cosmique. »
Cette « version française » de la célèbre épopée homérique réalise l'union paradoxale du plus grand respect du texte, et de la plus grande liberté de jeu, restituant en français contemporain le « phrasé » de la langue polyphonique de l'aède. Sans jamais oublier que dans l'antiquité grecque, dès l'épopée, « la musique réglait tout, jusqu'à la politique » (Lascoux), et l'aède était « le premier polyphoniste, l'homme-orchestre ». Comme Emmanuel Lascoux aujourd'hui. -
Non, non, non et non ! Allez, viens en prison ! On va chanter tous les deux seuls ! Comme des oiseaux en cage ! Et quand tu me demanderas ta bénédiction, je me mettrai à genoux. Pour te demander pardon ? On vivre comma ça. Prier, chanter. Raconter de vieilles histoires et rire aux papillons dorés. On aura tous les potins de la cour par une bande de crétins. On aura de bonnes discussions pour savoir qui perd qui gagne... qui est in ? qui est out ? On prétendra expliquer le mystère des choses. Comme si on était les espions des dieux. On tiendra le coup entre les murs. Même au milieu de cette meute, de toutes ces sectes, de tous ces gangs qui vont et viennent comme la marée sous la lune.
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Le héros de ce roman, Lars Hertervig (1830-1902), est aujourd'hui considéré comme un des plus grands noms de la peinture nordique. Très tôt, dès ses études à Düsseldorf, il fut victime de troubles nerveux. Après un séjour en asile, brisé, il vécut jusqu'à sa mort de charité publique. Comme s'il tentait de capter cette lumière qui illumine les toiles du peintre, avec une grande économie de moyens, une sorte de minimalisme emporté, Jon Fosse fait revivre le martyre d'Hertervig en deux monologues intérieurs où une écriture enveloppante, répétitive, rythmée, développe jusqu'à l'angoisse l'obsession amoureuse et la tresse cruellement à la volonté créatrice.
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Composées à la fin des années 1960, les onze nouvelles de ce recueil inédit en français n'ont pu paraître dans leur intégralité qu'après 1989, après la chute de Ceaucescu et celle du Mur de Berlin. À travers chacun de ces récits oniriques, souvent absurdes, le jeune Dumitru Tsepeneag dénonce les conditions de vie de l'écrivain au sein du régime soi-disant socialiste du dictateur. Dans la plus importante de ces nouvelles, qui donne son titre au recueil - Mise en scène - l'auteur s'y offre la parodie ultime : la naissance du christianisme, revue et réinterprétée à l'aune de l'histoire moderne du socialisme roumain, et avec une verve ironique et cruelle.
Le rêve acquiert ici une puissance stratégique, et la forme brève, accélérée, des derniers récits crée un redoutable effet de vertige. -
Beaux et maudits (The Beautiful and Damned) est le deuxième des quatre romans de Fitzgerald (1896-1940), et sans doute le plus mal connu. Paru en 1921, il y a exactement un siècle, il raconte la déchéance d'un jeune couple, Anthony et Gloria, de la veille de la Grande Guerre au début de la Prohibition. Avec une noirceur radicale, Fitzgerald (qui n'a pas encore vingt-cinq ans) y massacre systématiquement : les hommes et les femmes, les riches et les pauvres, l'amour, l'amitié, l'intelligence, le romantisme, l'écriture, l'espérance, les ambitions, des plus modestes aux plus nobles, la société américaine, la démocratie, l'armée, l'industrie du cinéma naissant. Aucune échappatoire possible : l'insouciance, l'alcool et la fête sont également disqualifiés. Mais ce pessimisme est un tremplin qui permet à Fitzgerald de faire surgir, sous forme de fragments éphémères, de regrets, de souvenirs impossibles, des instantanés de beauté et de poésie (la Beauté, dit-il plusieurs fois dans le roman, qui n'est poignante que parce qu'elle est condamnée) - et tout particulièrement dans ce qu'il transmet de New York (c'est son grand roman new-yorkais), de ses quartiers, de ses saisons, de sa lumière.
Julie Wolkenstein propose une nouvelle traduction personnelle de ce roman américain à (re)découvrir : il n'existe que deux traductions françaises, l'une ancienne de 1964, l'autre de 2012 uniquement disponible dans La Pléiade.
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Les Prières réunit trois romans inédits en français : Le Fleuve, Paolina, Proviseur.
Dans Le Fleuve, Alessandro erre la nuit à la recherche de l'homme qui a sauvé son fils de la noyade. Paolina chemine seule dans la ville à la recherche des trois hommes avec qui elle a fait l'amour. Elle a quinze ans, trois roses à la main données par une Tsigane, et elle a jusqu'au soir pour savoir si elle gardera ou non l'enfant qu'elle porte. Dans un triste lycée de banlieue, un proviseur, qui s'est rêvé écrivain, se retranche dans son bureau avec deux otages et son fusil de chasse. Chacun des protagonistes de cette nouvelle trilogie romaine prie pour que change le cours de son existence. Ils ont tous le dos au mur, « à la recherche de quelque chose de plus grand qu'eux », écrit Lodoli dans sa préface à l'édition française. Dans l'impasse, ils n'ont rien sinon leur extrême « pauvreté » qui les protège et les sauve. L'important, c'est le chemin parcouru, jalonné de rencontres édifiantes, grotesques, drôles, généreuses, nécessaires. On ira à la fête des vieux enfants, on sauvera une vie dans la nuit, on croisera une lignée de cartomanciennes, un musicien punk, un escrimeur, un orphelin africain, un Dieu pas très catholique au téléphone, des prostitué(e)s, un sanglier blessé, des amours perdus.
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Dennis Cooper présente lui-même J'ai fait un voeu, comme son entreprise la plus personnelle et intime : écrire sur George Miles qui lui a inspiré les romans Closer, Frisk, Try, Guide et Period entre 1989 et 2000. Cooper a construit une mythologie littéraire autour de ce personnage. « J'avais, depuis très longtemps, envie d'écrire un roman sur le vrai George Miles... un sujet très difficile pour moi », explique celui que Bret Easton Ellis qualifie de « dernier hors-la-loi de la fiction américaine ». Il s'agit de sortir George Miles, l'ami et amant suicidé dans l'oubli à trente ans, des personnages de fiction qu'il avait inspirés. Georges et Dennis seront les deux personnages principaux du livre. Mais dès le départ tout déraille, George se dédouble, en différentes versions, à plusieurs âges différents, et dans plusieurs situations. Ce roman est une variation de fictions autobiographiques où les personnages, les sentiments se transforment, se déplacent, mutent. La narration devient un labyrinthe à géométrie variable où le désir défait à la fois l'enveloppe des personnages et les intentions du narrateur, multipliant les degrés de fiction : autobiographie, fantastique, comique. Dans quel monde de fiction raconter la perte et le deuil ? Le narrateur tente la réécriture du Coeur est un chasseur solitaire, de Carson McCullers, ou d'un conte de fées, convoque drôlement la figure du Père Noël ou celle d'un serial killer, crée une circulation ininterrompue entre différentes formes, et des passages qui laissent le lecteur hilare, et d'autres où la fragilité du texte devient bouleversante : une plaie à la tête à coup de hache, le pistolet du suicide, les ratés du langage et de l'art conceptuel, les chansons de Nick Drake. Les variations étranges, et l'aspect hautement comique de J'ai fait un voeu, ses éruptions de sang, de sexe et d'émotion évoquent aussi les GIFs, ces images qui tournent en boucle sur internet et que Dennis Cooper manipule pour en faire des romans en ligne inspirés des espaces du jeu vidéo.
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Si un poète écrit sur une catastrophe à la veille d'un événement désastreux, ce n'est pas un hasard.
Si le récit d'une catastrophe débute immanquablement par la veille, ce n'est pas un hasard. Chronique tenue du 10 mars au 30 avril 2011, sur la superposition des images, la mémoire des villes, le hasard, la temporalité de la description et les noms propres qui surgissent, fantomatiques, lors d'une catastrophe.
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Alexander Kluge est relativement connu, en France, pour sa filmographie, abondante et variée, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une large rétrospective à la Cinématèque Française en 2013. L'écrivain est en revanche ici pratiquement ignoré, sinon des germanistes, alors qu'il est une des figures les plus célèbres de la littérature allemande contemporaine et salué comme tel par les médias allemands, le public, l'édition.
Son originalité réside dans une manière de parler de la réalité contemporaine allemande en s'appuyant aussi bien sur son immense culture classique que sur un maniement très original de la fiction, à travers, le plus souvent, de brèves séquences qui sont autant d'apologues dont la juxtaposition et l'accumulation finissent par composer une véritable fresque de l'histoire de son pays et, au-delà, de celle de la pensée et de la sensibilité occidentales.
Cette écriture, cette démarche si originales sont actuellement absentes du paysage littéraire français, c'est la raison pour laquelle une traduction de l'ensemble de cette gigantesque entreprise qu'est « Chronique des sentiments » nous a paru indispensable.
Les sentiments sont les véritables occupants des vies humaines. On peut dire d'eux ce que l'on a dit des Celtes (nos ancêtres, pour la plupart d'entre nous) : ils sont partout, seulement on ne les voit pas. Les sentiments font vivre (et forment) les institutions, ils sont impliqués dans les lois contraignantes, les hasards heureux, se manifestent à nos horizons, pour s'élever au-delà vers les galaxies. On les trouve dans tout ce qui nous concerne.
Ce dont les hommes ont besoin au cours de leurs vies, c'est de l'ORIENTATION. Comme il en faut aux bateaux. Telle est la fonction d'un si gros livre : que l'on compare, se sente rebuté ou attiré, dans la mesure vu qu'un livre fonctionne comme un miroir.
Nul ne lira autant de pages d'un seul coup. Chacun se contentera d'aller vérifier, comme dans un calendrier ou, précisément, une CHRONIQUE, ce qui le regarde. L'orientation subjective - savoir à quoi me fier, ce que je dois craindre, à quoi tiennent les actes délibérés - donnent ce courant de fond, que le temps qui court ne suffit pas à transformer et qui constitue la vraie chronique.
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Ces versets ont plus de mille cinq cents ans. Ils ont été rédigés dans une langue ancienne, le sanscrit, quelque part, dit-on, dans le nord-est de l'Inde, au bord du Gange. Ils sont extraits d'un « petit livre» (selon l'expression du texte lui-même), divisé en sept parties, et datant probablement du III" ou IV' siècle de notre ère, le Kâmasûtra. On y découvre l'étrange dilemme d'une culture savante et antique confrontée au plaisir sexuel, à sa recherche, et à sa signification. Renoncer à la satisfaction des pulsions, vertige destructeur, et éventuellement sublimer ce refoulement, ou rédiger les conditions culturelles d'une satisfaction nécessaire (et pour qui? et pour quoi? et de quelles façons en parler?) L'Inde ancienne des brahmanes a ceci de particulier qu'elle a favorisé une sorte de diversité cognitive, souvent dissonante et plus ou moins simultanée, dans laquelle chacun peut disposer d'une connaissance pratique de différents savoirs, techniques, croyances, représentations. Sur près de mille ans au moins, on a su rédiger une science plurielle qui portait sur la grammaire, la religion, la logique, la guerre autant que sur les chevaux, les éléphants, la danse, la vie domestique, la médecine,la musique, l'astronomie, l'élevage, l'agronomie ... L'Inde ancienne, à l'époque Il Kâmasûtra du Kâmasûtra, représente aussi un grand fourre-tout de croyances locales et de traditions, de connaissances multiples, avec la nécessité d'ordonner, de hiérarchiser la diversité du monde. Accompagné de cette volonté inlassable de penser et de prévenir la confusion, le mélange (samkara).
Ces versets ont plus de mille cinq cents ans. Ils ont été rédigés dans une langue ancienne, le sanscrit, quelque part, dit-on, dans le nord-est de l'Inde, au bord du Gange. Ils sont extraits d'un « petit livre» (selon l'expression du texte lui-même), divisé en sept parties, et datant probablement du III" ou IV' siècle de notre ère, le Kâmasûtra. On y découvre l'étrange dilemme d'une culture savante et antique confrontée au plaisir sexuel, à sa recherche, et à sa signification. Renoncer à la satisfaction des pulsions, vertige destructeur, et éventuellement sublimer ce refoulement, ou rédiger les conditions culturelles d'une satisfaction nécessaire (et pour qui? et pour quoi? et de quelles façons en parler?) L'Inde ancienne des brahmanes a ceci de particulier qu'elle a favorisé une sorte de diversité cognitive, souvent dissonante et plus ou moins simultanée, dans laquelle chacun peut disposer d'une connaissance pratique de différents savoirs, techniques, croyances, représentations. Sur près de mille ans au moins, on a su rédiger une science plurielle qui portait sur la grammaire, la religion, la logique, la guerre autant que sur les chevaux, les éléphants, la danse, la vie domestique, la médecine,la musique, l'astronomie, l'élevage, l'agronomie ... L'Inde ancienne, à l'époque Il Kâmasûtra du Kâmasûtra, représente aussi un grand fourre-tout de croyances locales et de traditions, de connaissances multiples, avec la nécessité d'ordonner, de hiérarchiser la diversité du monde. Accompagné de cette volonté inlassable de penser et de prévenir la confusion, le mélange (samkara). La connaissance relève ici à la fois de la taxinomie, de la description, de la proscription et de l'exception. C'est le monde des sâstra, traités versifiés de droit, textes d'enseignement et d'étude qui produisent une sorte de lecture et de description raisonnée infinie du monde. Le verbe sas signifiant à la fois punir et enseigner, un peu comme notre mot discipline en français. Ce monde est distribué selon une trilogie supérieure (en sanscrit trivarga, les trois significations discriminantes qui confèrent les buts de l'existence humaine, purusârtha) : dharma (l'ordre universel, les principes, les devoirs sacrés de toute existence), artha (la création de richesses et la puissance matérielle d'une existence, la prospérité), et kâma (le plaisir sexuel, amoureux, la sensualité, le désir). On commence toujours par ce trio pour parler grammaire, architecture, danse, médecine ou musique ... C'est dire que le plaisir est reconnu traditionnellement comme une des trois finalités supérieures du brahmanisme, et que les buts sexuels ne sont pas forcément en contradiction avec le jeu social.
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Grand Cirque Déglingue est un récit de l'éternelle enfance avec des personnages proches des Vitelloni de Fellini, qui traînent leur douce folie et leur adolescence attardée dans une ville où tout est déjà tracé. Mais, heureusement, il ya Sara qui enchante ce monde gris, Sara qui par sa seule présence ou absence suffit à maintenir l'espoir et l'illusion. Grand Cirque Déglingue appartient au premier mouvement (I Principianti) de la grande oeuvre concertante de Lodoli. L'auteur distille des pages prémonitoires, esquissant les entrées de tous ses récits à venir et ainsi qu'il le dit lui-même:«ce voyage de la boue vers la lumière, qui passe et repasse par Rome.» Une infinité de routes, qui se ressemblent, tournent en rond et divaguent, mais échouent fatalement au même point. On est en hiver à la veille de Noël, nos trois «arnarchorêveurs» décident de voler l'Enfant Jésus dans sa crèche:Nous le libérons de son destin et nous l'envoyons jouer avec les autres, ce morveux. Le texte est raconté selon le point de vue des trois protagonistes lunaires pour ne faire qu'une seule voix terrible et fragile, comme la vie et son sacré cirque.
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Hymne à la liberté et plaidoyer pour la poésie, Le Levant raconte l'aventure de Manoïl, jeune homme sensible et courageux, tourmenté par les malheurs de son peuple, qui sonne la révolte et s'en va renverser le tyran phanariote, cruel et corrompu ; au cours de son périple - sur les mers, sous terre, dans les airs - il est accompagné de sa soeur, la pulpeuse Zénaïde, et de son soupirant français Languedoc Brillant, du pirate grec Yaourta et de son fils Zotalis, néo-tzigane, et enfin du savant Léonidas, dit l'Anthropophage, et de sa compagne Zoé, révolutionnaire aux manches retroussées.
Épopée roumaine jouissive et ludique, divisée en douze Chants et incrustée de pastiches, de poèmes, de récits d'aventures et de contes amoureux, comme de digressions postmodernes (dixit), selon une tradition allant des Mille et une nuits ou de L'Âne d'or à Jacques le fataliste, et au-delà (Joyce, Borges), ce livre original et savoureux est sans doute l'un des plus grands de l'auteur ; c'est aujourd'hui un classique, en sa terre natale.
Tour à tour sentimental et nonchalant, entremêlant les parodies et les aveux, le narrateur - qui apparaît lui-même en de nombreux endroits du livre - joue principalement avec les codes lyriques et narratifs de la littérature du xixe siècle, son patriotisme romantique, son imaginaire embrasé par la science ; confronté aux grandes questions du temps (celles de Byron, de Kleist, entre autres) : qu'est-ce que la Poésie ? que peut-elle, que devient-elle, face au politique ? l'auteur du Levant répond, avec une générosité luxuriante, par une somme littéraire à plusieurs niveaux de lecture, où l'amusement emboîte le pas de l'élégie.
Roman d'aventures des temps jadis, chant d'amour et de résistance, voire de résurrection et de révolution, composé par un jeune poète désespéré durant les heures les plus noires de l'ère Ceauþescu, Le Levant est aussi un voyage au coeur de la création, une oeuvre ouverte portée par une métatextualité jubilatoire qui nous fait traverser, avec une verve gorgée d'humour, et sous l'égide des plus grands poètes roumains, deux siècles de littérature - romantique, symboliste, décadente, expérimentale ou encore oniriste - parmi une mêlée haute en couleurs de fiers Roumains, de Grecs, de Tziganes et de Turcs, dans le superbe triangle Athènes-Istamboul- Bucarest.
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Il est allongé nu sur le futon, les poignets liés ensemble, les jambes écartées, les pieds qui dépassent du cadre.
Un drap tordu, comme une tornade maigrichonne. Sur la première photo, ses longs cheveux noirs et raides lui tombent sur le visage, recouvrant tout, à part le bout de son nez, son menton, une pommette, un oeil en partie fermé. Il a dix-sept ans. Son corps est trop contracté pour être mort ou endormi. Autour de son cou, il s'agit apparemment d'un noeud coulant.
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Cette nuit, j'ai décidé de tenir à nouveau un journal. Mon journal « parisien » !
J'ai décidé, par un choix délibéré, de me prêter à cet exhibitionnisme légal (et inoffensif) qui est de tenir un journal. C'est pour cette raison que je suis à Paris !
Déchu de sa nationalité roumaine en 1975, Dumitru Tsepeneag est contraint à l'exil. Dès 1970, il se rend à Paris et tient son journal. Témoignage exceptionnel, à travers les remous du champ littéraire roumain, sur la crise qui aboutira à l'effondrement du système totalitaire. On y croise, parmi d'autres, Roland Barthes, Alain Robbe-Grillet, Ionesco et Cioran.
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Un pont, une rivière asséchée dans un paysage désolé, la guérite d'un gardien mal luné, une route qui se perd à l'horizon, un marchand qui pense le monde, un vieillard, un petit enfant, et puis l'attente.
Rien ne bouge ou presque. nous sommes en afghanistan, pendant la guerre contre l'union soviétique. le vieil homme va annoncer à son fils qui travaille à la mine, le père du petit, qu'au village tous sont morts sous un bombardement. il parle, il pense : enfer des souvenirs, des attentes, des remords, des conjectures, des soupçons. c'est une parole nue qui dit la souffrance, la solitude, la peur de n'être pas entendu.
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Sur leurs vastes terres les grands propriétaires des Plaines de l'Australie intérieure ont su préserver une culture à la fois riche et unique, inaccessible. Extrêmement préoccupés par leur habitat et leur histoire ils engagent des artisans, des écrivains, des historiens afin de conserver chaque détail de leur mode de vie ainsi que tout ce qui constitue la nature profonde de leur pays. Un jeune cinéaste arrive dans les Plaines avec l'espoir d'apporter sa propre pierre à l'édification de cette histoire. Engagé par un propriétaire imprévisible et énigmatique, comme il semble qu'ils le soient tous, il constatera, à mesure que son projet de film se défait, et peut-être parce qu'il se défait, qu'il devient un véritable habitant des Plaines. C'est vingt ans après son arrivée qu'il nous raconte ici sa vie dans les Plaines, cet infini territoire du dedans.
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Le héros narrateur de ce nouveau roman de Dennis Cooper est un étrange personnage, amateur de jeunes gens dépressifs et cannibales. Le décor est planté ! Il nous raconte ses exploits, avec des amis qui partagent ses goûts, à l'occasion de l'acquisition qu'il vient de faire d'un château ainsi que d'un de ses jeunes occupants qui ne s'en sortira pas comme ça.
Comme à l'accoutumée avec Dennis Cooper, ce qui est raconté, aussi horrible que cela soit, reste sinon théorique du moins conserve son statut de phantasme. À aucun moment il n'y a de tentation réaliste ou naturaliste. Et dans ce livre, l'architecture, très présente et qui joue un grand rôle, de même qu'une syntaxe très bousculée qu'il a été difficile de traduire, évoque les structures mentales passablement dérangées des personnages. C'est fascinant.
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En 1978, Georges Perec publiait ses «Je me souviens», le principe en était le suivant : tenter de retrouver un souvenir presque oublié, banal, commun sinon à tous, du moins à beaucoup. C'est à partir de ce même principe de petits souvenirs arrachés au passé que fonctionne Le Verger. Principe appliqué cette fois à un seul sujet : Georges Perec. «Quelques semaines après la mort de Georges Perec, je repris pour mon compte et à son sujet la formule de son livre, non pas pour lui rendre hommage ni pour puiser dans le passé mais pour faire face, par l'écriture aussi, à l'accablement qui à ce moment-là assaillait beaucoup d'entre nous.»
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Cigarettes est une affaire de passions. S'y côtoient et s'entrecroisent les jalousies sexuelles, les déboires issus des chocs entre parents et enfants, les rivalités professionnelles, dans le monde des courses et dans celui de l'art, au début des années 60 à New York. Treize personnages, sept femmes et six hommes, animent le récit. Au centre, la mystérieuse Elizabeth qui aime les chevaux, le jeu, les bains de boue et dont le portrait devient le noeud d'intrigues multiples. Chacun des quinze chapitres dévoile un rapport intime ? de famille, d'amitié, d'amour, de sexe et souvent d'argent ? entre deux des personnages qui se déchirent et se réassemblent, impliquant le lecteur dans un jeu d'échecs plein de malentendus et de rebondissements, à la vie, à la maladie, à la mort.
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Luke pense à moi.
Michael se trouve à un mètre, et drague Luke. A l'autre bout de la ville, Drew dort. Mason le regarde respirer. C'est agréable. Scott vient juste de jouir. Tinselstool est en train de baiser. Pam et Sue sont dans des pièces séparées où la police les cuisine au sujet de Goof. Sniffles est vaguement inconscient. Je suis dans des toilettes en train d'embrasser ce type. Je pense à baiser. Il pense à... Allez savoir.
Tout ça n'aboutira à rien, j'en suis sûr. Vous pouvez presque nous oublier.
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Ziggy ressent tellement de trucs qu'il est, genre, incapable de penser.
Tic, tic, tic... Rien à foutre du reste.
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Entre Marguerite Duras et les calendriers érotiques des routiers, Le Camion bulgare trace une route sombre et fantasmatique destinée à ce couple étrange de la littérature contemporaine : l'écrivain rêveur et la lectrice frustrée.
C'est une belle Roumaine impénétrable, que les braves Français n'arrivent pas à faire jouir... C'est un puissant camionneur bulgare auquel ne suffit plus la petite mort permanente d'une société hyper-sexuée, ici symbolisée par une touriste américaine... Entre la solitude convexe du flirt par ordinateurs interposés, et les coups de théâtre charnels d'une rencontre au hasard des chemins, le gouffre se creuse, que Dumitru Tsepeneag ne remplit ni de tragédies romantiques, ni de catastrophisme moralisateur, mais d'onirisme et d'autodérision.