À l'heure du 'changement' et de la 'mondialisation', le 'village' continue d'être présent dans la mémoire et l'imaginaire des Français. Mais le divorce entre le mythe et la réalité n'a jamais été aussi flagrant. À l'ancienne collectivité, rude, souvent, mais solidaire et qui baignait dans une culture dont la 'petite' et la 'grande patrie' étaient le creuset, a succédé un nouveau monde bariolé où individus, catégories sociales, réseaux et univers mentaux, parfois étrangers les uns des autres, coexistent dans un même espace dépourvu d'un avenir commun.
Telle est la conclusion de l'enquête menée par Jean-Pierre Le Goff pendant plusieurs années sur les évolutions d'un bourg du Luberon depuis la Seconde Guerre mondiale. Il s'est immergé dans la vie quotidienne des habitants, a interrogé beaucoup d'entre eux, consulté des archives, recueilli les documents les plus divers. Le tableau qu'il brosse est saisissant. À rebours des clichés et d'une vision idéalisée de la Provence, les anciens du village ont le sentiment d'être les derniers représentants d'une culture en voie de disparition, face aux modes de vie des néo-ruraux et au tourisme de masse. Animation culturelle et festive, écologie et bons sentiments, pédagogie et management, spiritualités diffuses se développent sur fond de chômage et de désaffiliation. Les fractures sociales se doublent de fractures culturelles qui mettent en jeu des conceptions différentes de la vie individuelle et collective.
C'est donc un microcosme du mal-être français que l'auteur décrit au plus près des réalités, en s'interrogeant sur ce qu'il est advenu de l'ancien peuple de France et sur les défis qu'un nouveau type d'individualisme pose à la vie en société.
Dans notre mémoire nationale, l'éclat du règne de Charlemagne a éclipsé celui de son petit-fils et homonyme, Charles II, surnommé Ie Chauve. Pourtant, il est l'un des trois rois qui, en 843, par le fameux traité de Verdun, ont organisé la succession de l'ensemble des royaumes francs, lui-même recevant la Francie occidentale. Il est celui qui à Noël 875, deux ans avant sa mort, reçut à Rome la couronne impériale, à l'imitation de son grand-père dont il s'est efforcé sa vie durant de restaurer la grandeur. Charles le Chauve est alors le phare de l'Occident chrétien, la réincarnation de l'empereur Constantin, le successeur spirituel du roi David, le plus haut serviteur du Christ qui, affirme le pape, l'a consacré Sauveur du monde. Inhumé à Saint-Denis, sanctuaire de la légitimité française, il est l'autre grand Carolingien.Entreprenant, habile, obstiné, il conçut le rêve de dilater l'héritage de ses pères jusqu'au-delà des limites que le milieu du IX? siècle pouvait concevoir. Pourvu d'une haute culture aiguisée par sa curiosité d'esprit, à l'aise dans les plus graves questions théologiques et politiques, attentif à sa propre image, il s'est entouré d'une pléiade de savants et d'artistes qui s'employaient à le célébrer dans des ouvrages admirables, encore visibles. Cette lumière qui l'a nimbé et a éclairé son époque est ici restituée, au fil des grandes journées qui décidèrent de son destin et de celui du royaume de France alors en formation.
«Je me suis assis à ma table pour tenter d'écrire sur Yitzhak Rabin...» C'est ainsi qu'Amos Gitai revient, sous une forme poétique, sur son compagnonnage avec l'homme des accords d'Oslo et prix Nobel de la paix. Le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin est assassiné. Avec L'Arène du meurtre, Amos Gitai, architecte et bâtisseur de films, se saisit de ce drame:c'est la première étape d'un processus de création et de réinterprétation mêlant journal intime, archives et fiction, qui essaime ensuite dans une oeuvre multiforme. «La question qui émane de tout cela / est comment transposer / l'évènement historique qu'est le meurtre de Rabin / dans différents médiums / avec différentes dimensions / dans différents lieux et territoires...» L'exposition Amos Gitai / Yitzhak Rabin et cet ouvrage mettent au jour toutes les formes - cinéma, théâtre, expositions, installations... - mises en jeu par un artiste «embarqué» dans l'histoire de son temps.
C'est seulement autour de 1940 qu'on parle de la Belle Époque. Ces quelques années qui précèdent la Première Guerre mondiale ont suscité beaucoup de curiosité, maintes recherches, mais rarement donné un tableau d'ensemble. Tel est l'objet du présent ouvrage. Il a l'ambition d'embrasser toutes les facettes de ces deux décennies brillantes, remuantes, d'un essor économique remarquable, d'une créativité sans égale, traversées néanmoins de conflits récurrents, violents, parfois meurtriers.
Antoine Prost va à la rencontre des Français, dans leurs villages, leurs quartiers, leurs échoppes, leurs ateliers... Il interroge leur quotidien, leurs traditions, leurs habitudes alimentaires, leur manière de se vêtir, leur hygiène précaire, leur intimité... Il restitue les passions qui les travaillent et les opposent, sur la place des ouvriers dans la Cité, la religion, l'école, la laïcité - en plein conflit entre l'Église et l'État ; mais aussi sur la mission de l'armée dans la République, alors que la France achève ses conquêtes coloniales, fière d'être redevenue une grande puissance.
À la veille d'une guerre que peu voient venir, la France est-elle en mesure de la soutenir ?
Cette société divisée entre des élites toujours puissantes et un peuple toujours pluriel d'où commencent à émerger des classes moyennes a pourtant trouvé dans la République son principe d'unité. Tel est le legs méconnu de la Belle Époque. En la revisitant, ce livre fait comprendre comment le pays a pu traverser sans se défaire quatre années d'épreuves terribles qui allaient le transformer en profondeur.
La vie de Claude Lanzmann est intimement et intensément liée au XX? siècle. Son oeuvre est de celles, rares, qui ont bouleversé notre vision du monde. Or il se trouve que Shoah, en 2015, a passé le cap de ses trente ans et son auteur celui de ses quatre-vingt-dix ans. Ce fut une occasion. Non de commémorer:il n'y a pas lieu de le faire, le travail de Claude Lanzmann ne relève pas du passé, il se poursuit au présent et au futur, de nouveaux films sont en préparation; mais bien de réfléchir sur notre dette à son égard, de dire en quoi sa démarche de cinéaste - et d'écrivain - a touché en nous quelque chose de très profond, comment il a pour nous redistribué, éthiquement, intellectuellement, artistiquement, le possible et l'impossible. S'y emploient ici en toute liberté cinéastes, écrivains, philosophes, personnalités de divers horizons, proches ou moins proches de Claude Lanzmann. C'est l'actualité vive de l'oeuvre qui s'en trouve éclairée et chacun des auteurs pourrait, sans doute, mettre en exergue de ses pages les premiers mots si surprenants de Shoah:«L'action commence de nos jours...» Avec des textes, notamment, de Shimon Peres, Arnaud Desplechin, Luc Dardenne, Philippe Sollers, Marc Lambron, Marcel Gauchet, Axel Honneth, Patrice Maniglier, Jean-Claude Milner, Boualem Sansal, Jean Hatzfeld...
Tous les fous, dit-on, se prennent pour Napoléon. Mais le délire d'identification à l'empereur se vérifie-t-il dans les registres des asiles et, si oui, que cela nous enseigne-t-il sur les rapports de l'Histoire et du trouble psychique ? C'est à partir de cette question qu'est née l'idée de ce livre, dont le sujet, très vite, s'est élargi à d'autres problématiques. Quel impact les événements historiques ont-ils sur la folie ? Peut-on évaluer le rôle d'une révolution ou d'un changement de régime dans l'évolution du discours de la déraison ? Quelles inquiétudes politiques les délires portent-ils en eux ? En somme : comment délire-t-on l'Histoire ? Pour le savoir, ou du moins y voir plus clair, il fallait remonter à la source et questionner la clinique, interroger les rapports entre la guillotine et la hantise de « perdre la tête », l'enjeu de la présence de Sade à Charenton, la supposée démence des révolutionnaires, la confusion entre la pétroleuse hystérique et l'opposante politique. Pendant trois ans, Laure Murat interrogé les archives. L'Homme qui se prenait pour Napoléon est le résultat de cette enquête.
Ce bref essai, précis et cinglant, éclaire avec intelligence ce qu'est en train de vivre la quatrième génération de Juifs après Auschwitz. La première génération s'est refermée sur ses horribles secrets, la deuxième a vécu dans le silence obligé (on ne devait pas «en parler»), la troisième génération a tenté de façon parfois maladroite et excessive de déterrer ces secrets en mettant la Shoah au centre de tout. La quatrième génération est en train de tenter une rupture avec ces attitudes. Après le temps de l'oubli, puis le temps du souvenir obsessionnel, désormais il faut vivre:bientôt les derniers rescapés des camps auront disparu. Petite-fille de déporté, Nathalie Skowronek aborde le sujet avec une verve salutaire. Elle évalue le risque, par la mise à distance de la Shoah, de favoriser l'antisémitisme ou l'opposition à l'existence d'Israël, mais choisit de l'assumer. Il n'y a là aucune volonté de provoquer, plutôt l'envie de faire partager une réflexion délivrée de toute contrainte mémorielle, et d'engager un débat.
Phnom Penh, mars 2009. Kaing Guek Eav, plus connu sous le nom de Douch, responsable de la torture et de la mort de plus de 12 000 victimes à la prison de Tuol Sleng (S-21), est seul derrière une vitre insonorisée : seul face à la justice internationale, seul face aux familles de ses victimes, seul peut-être plus que tout face à lui-même, à l'étendue d'un crime impossible à sonder, impossible à pardonner. Le maître des aveux est une saisissante évocation de son destin, mais aussi de l'étonnante « comédie humaine », tour à tour bouleversante et déroutante, qui s'est déroulée autour de son procès. Thierry Cruvellier est le seul journaliste français qui a assisté à la totalité de ce procès, du premier au dernier jour, qui a vu un événement remarquable et peu noté : pour la première fois devant un de ces tribunaux, un accusé qui reconnaissait sa responsabilité personnelle dans des crimes innommables, plaidait coupable et demandait pardon aux victimes, était à la barre pendant six mois à essayer d'expliquer et de s'expliquer. Ce procès allait-il se dérouler à contre-courant des attentes et apporter enfin, pour la première fois, apaisement aux victimes ? Allait-il dessiner la figure d'un bourreau « différent » ? Allait-il jouer ce rôle toujours attendu et jamais réalisé de « procès pour l'histoire » ? C'est la tragédie particulière, jusqu'à son coup de théâtre final, du procès du génocide khmer rouge qu'il n'en ait, en fait, rien été, et que le bouleversement des rituels attendus ait provoqué des moments d'une intensité exceptionnelle, des scènes d'une émotion considérable, des joutes médiocres et magnifiques - et au final une amertume profonde chez tous les acteurs de cette pièce. Il fallait pour écrire ce livre un ensemble de qualités presque impossible : une connaissance, une expérience, une discrétion, mais surtout, tout simplement un talent doublé d'une humanité profonde.
Lorsqu'il s'agit de dresser leur autoportrait, les historiens se plaisent souvent à se camper face aux archives qu'ils compulsent et font parler. Ce livre se risque à retourner le miroir, en proposant le portrait d'un historien en ses archives, celles qu'il a consultées, mais celles aussi qu'il a constituées. Georges Duby fut l'historien scrupuleux et inspiré de la société féodale, mais il fut également l'archiviste méthodique de lui-même. C'est à explorer le "fonds Duby" déposé pour l'essentiel à l'Imec que cette enquête collective est consacrée.
Les historiens rassemblés par Patrick Boucheron et Jacques Dalarun, grâce au soutien de la Fondation des Treilles, entreprennent de saisir Georges Duby à travers les visages de papier que constituent ses archives de travail. Ce faisant, ils invitent le lecteur à entrer dans la fabrique de l'oeuvre.
Ce n'est pas seulement la carrière du grand médiéviste qui est ici revisitée, mais les pratiques et les procédures qui permettent le travail de l'histoire : fiches de cours, notes, correspondances, transcriptions de séminaires, brouillons et manuscrits. Voilà pourquoi ce livre ambitionne, à sa manière, d'illustrer une histoire matérielle du travail intellectuel.
Dans la nuit du 4 au 5 février 1983, Klaus Barbie, l'ancien chef de la Gestapo de Lyon, est extradé de la Bolivie vers la France. Son arrivée réveille quelques spectres, dont l'affaire Jean Moulin. Depuis l'arrestation du résistant à Caluire, le 21 juin 1943, la plaie est restée ouverte : «l'unificateur de la Résistance» a-t-il été victime d'une trahison, d'un complot?
Deux procès impliquant René Hardy ont échoué à faire la lumière. Le résistant a été acquitté chaque fois sur le fil. Quarante ans plus tard, Me Vergès, l'avocat de Barbie, cria haut et fort que Moulin avait été livré par des membres de Combat, le mouvement d'Henri Frenay, auquel appartenait aussi Hardy et son ami Pierre de Bénouville, parce qu'ils le jugeaient trop proche des communistes.
Introduit à cette affaire par une amie de Moulin, Antoinette Sachs, et guidé dans son dédale par un autre membre de Combat, Claude Bourdet, Jacques Gelin a d'abord enquêté en journaliste dans les coulisses du procès Barbie, en 1986 et 1987. Puis il a rencontré tous les acteurs, nombreux à l'époque à être encore en vie. Enfin, il a découvert de nouveaux témoins et des documents inédits.
Au terme de ce travail étalé sur plus de vingt ans, il apporte des réponses concluantes sur la culpabilité de Hardy et ses mobiles possibles. Moulin était soupçonné d'être un «cryptocommuniste», voire un agent soviétique, par certains résistants, qui redoutaient une prise de pouvoir des «rouges» à l'occasion du débarquement allié, jugé imminent au printemps de 1943.
Les opérations d'intoxication mises en place par les Alliés et leurs relais pour couvrir leurs opérations en Sicile et en Corse avaient convaincu ces résistants de la réalité du débarquement en métropole. Le sacrifice de Moulin a-t-il été la conséquence ultime de cette conjonction? Telle est la grave question que pose l'ouvrage.
Nouvelle édition revue et augmentée. Cet ouvrage a paru pour la première fois en 1971 sous le pseudonyme de Claude Baillén
Depuis 1821, l'École nationale des chartes forme les cadres de la conservation du patrimoine, principalement écrit, ainsi que des chercheurs et des enseignants-chercheurs dans le domaine des sciences historiques.École d'excellence, elle constitue une institution originale par le rassemblement unique de compétences indispensables à la compréhension du passé : paléographie, diplomatique, archivistique, histoire du livre, philologie, histoire du droit, histoire de l'art, archéologie.Au cours de ses deux cents ans d'existence, l'École a participé à tous les mouvements de l'histoire de France : Révolution de 1848, affaire Dreyfus, guerres mondiales, décolonisation, Mai 68, décentralisation, révolution numérique.Au service des archives, des bibliothèques, des musées, de la recherche et de l'université, des entreprises, ses anciens élèves ont accompagné le développement d'une prise de conscience patrimoniale, en France et hors des frontières.Cet ouvrage nous invite à découvrir une École qui continue, tout en relevant les défis contemporains, de transmettre des méthodes et des savoirs au service de la conservation et de l'étude des sources.
Au milieu du XVII? siècle, cette reine aussi énigmatique que célèbre règne dix ans en «despote éclairé» avant la lettre, puis se convertit au catholicisme et abdique, non sans continuer à jouer un rôle de premier plan dans la politique européenne, mais aussi dans la vie intellectuelle et artistique. Ce personnage qui défraya la chronique en France, à Rome et ailleurs, suscitant tour à tour - et parfois chez les mêmes - enthousiasme et détestation, était effectivement pétri de violentes contradictions, tant dans ses affections que dans ses convictions. Les historiens, sur son compte, sont aussi divisés que le furent ses contemporains. Elle fut et elle reste une énigme. Mais c'est une figure hors pair et fascinante - mêlée d'on ne peut plus près à toute l'histoire d'un siècle fort mouvementé. L'auteur met ici avec élégance son érudition à la portée du grand public, pour éclairer de façon impartiale toutes les facettes du personnage, et rendre vivants aussi bien l'Europe du grand Siècle que cette femme exceptionnelle.
1er août 1914, la guerre fait irruption dans la vie de millions de Français. En quelques semaines, à Paris, dans les villes et les campagnes, tout a été bouleversé. Brutalement séparés, couples et familles ignorent tout de l'avenir qui les attend. Les hommes partent au front avec l'idée d'un conflit court et la certitude d'une guerre juste. Trois semaines plus tard, une défaite militaire aux frontières fera planer le spectre d'une déroute, tout juste évitée grâce à la victoire sur la Marne début septembre.
Pour saisir la fébrilité de ce premier mois de la Grande Guerre, Bruno Cabanes interroge les témoignages des contemporains, des Mémoires et des correspondances jusqu'ici inexplorés, les rapports des préfets ou les relations de police. Il restitue les émotions de l'entrée en guerre, les espoirs, les épreuves, les incertitudes et les rumeurs qui forment les différents paysages de la mobilisation.
Août 14 renouvelle l'interprétation du basculement dans la guerre totale. On situe souvent le premier tournant de 1914 à l'automne, quand la guerre de mouvement fit place à la guerre des tranchées. Or, les premières semaines ont été de loin les plus meurtrières : l'histoire de ce mois d'août est déjà une histoire de la mort de masse et des deuils familiaux. Il ne fallut que quelques jours, au plus quelques semaines, pour que la France entre déjà pleinement dans la guerre.
La culture et l'Histoire espagnoles sont fortement marquées par le desvivirse.
Cette notion difficile à traduire, une sorte d'intensité dévorante aux prises avec la réalité, est pourtant cruciale pour comprendre notre pays voisin, à la fois proche et lointain. Afin de nous faciliter le chemin, Verena von der Heyden-Rynsch nous offre ici une plongée dans la culture ibérique. Son récit est organisé autour de trois axes : la cohabitation des trois grandes religions au Moyen Âge, l'influence de la pensée d'Érasme, et enfin, ladite philosophie du desvivirse du moraliste Gracian.
A partir de quelques données historiques clés, esquissées avec concision et clarté, l'auteur parvient à brosser un portrait très vivant de l'Espagne comme s'il s'agissait d'une personne morale et non d'un pays. En décrivant le chemin parcouru entre le IXe siècle, où le pays incarnait la tolérance interreligieuse en Europe, et l'obsession du « sang pur » du XVIe siècle, elle décèle une faille qui se renforcera encore par l'obscurantisme de la contre-réforme, malgré l'influence incontestable de la pensée érasmienne.
L'auteur parvient ainsi à dessiner un large arc de cercle dans l'histoire culturelle espagnole pour aboutir à la description d'un pays qui se languit, dans une attitude fière mais dépressive qui lui est propre, en puisant son argumentation aussi bien dans la peinture, la philosophie, la littérature que dans l'histoire politique.
Son essai lumineux touchera non seulement les lecteurs curieux de la culture espagnole, mais aussi tous ceux qui s'intéressent à l'histoire des idées en Europe ou qui s'interrogent sur la question de la tolérance religieuse.
Robert Brasillach est le seul écrivain notoire qui, pour avoir collaboré avec les nazis, a été fusillé. L'enquête sur son cas se lit comme un roman, riche en personnages hauts en couleur. Brasillach fait partie de l'élite intellectuelle formée par l'École normale supérieure. Il est bientôt fasciné par l'Allemagne nazie, sa violence, sa théâtralité. Il va diriger Je suis partout, hebdomadaire férocement antisémite, pro-nazi, dénonciateur de Juifs et de résistants. Mais on ne le jugera pas pour ses opinions. On le condamnera pour trahison. En janvier 1945, si Paris est libéré, la guerre n'est pas finie. C'est dans ce climat tendu que s'ouvre son procès. Alice Kaplan le raconte telle une pièce de théâtre où trois vedettes s'affrontent:Brasillach, le procureur Reboul et l'avocat Jacques Isorni, le propos s'éclairant de l'histoire personnelle et parfois du roman familial des protagonistes. L'auteur a eu accès au dossier de recours en grâce soumis au général de Gaulle et rapporte les cas de conscience, les acceptations et les refus des célébrités à qui l'on a demandé de signer en faveur du condamné. Pourquoi Camus a signé et Simone de Beauvoir a refusé. On découvre comment la mort de Brasillach va peser sur le destin de tous les personnages qui ont été mêlés à son procès. Et comment elle a continué à alimenter les débats intellectuels sur la responsabilité de l'écrivain.
«Tel est le glorieux cortège des morts du barreau de Paris, barreau dont les plus jeunes promotions ont été saignées à blanc. Aucune profession n'a sans doute payé un aussi lourd tribut à la reconquête de l'Alsace et de la Lorraine, à notre liberté et à la victoire de la France. Ils sont à jamais dans nos mémoires et dans nos coeurs, et ce livre n'a pas d'autre objet que de rappeler leur sacrifice, d'appeler au respect que nous leur devons, et de leur exprimer notre reconnaissance, dans l'espoir que notre pays ne verra jamais le renouvellement d'une pareille tragédie. À peine plus de vingt ans plus tard, la France et l'Allemagne se sont à nouveau jetées l'une contre l'autre dans une guerre fratricide entre deux peuples qui adoraient le même Dieu, lequel leur avait demandé de s'aimer les uns les autres, conflit au cours duquel le barreau de Paris a une nouvelle fois montré son sens du sacrifice. Que nos morts de ces deux guerres n'aient pas donné en vain leur vie pour la patrie, tel est le voeu que forment tous les avocats du plus grand barreau de France, qui oeuvrent ensemble pour la justice, mais aussi pour la paix entre toutes les nations, au sein d'une Europe désormais unie, démocratique, tolérante et respectueuse de toutes les libertés.»