Au nord du Québec, les Montagnais ; au sud du Chili, les Yaghan et les Kawashkar, ces peuples amérindiens vivent chacun aux antipodes du continent américain ; au delà du climat rude de leurs latitudes, ou d'être des peuples natifs de l'Amérique, ils partagent une communauté de destin.
Les premiers, parqués dans des réserves, dissolvent peu à peu leur culture dans un mode de vie occidentale, perdent leurs coutumes, leur langue, leur histoire, bien que certains tentent de les préserver ; les second disparaissent simplement, corps et biens, engloutis par la mer. Pierre Hybre s'est rendu à Pointe Bleue, au Québec, Eric Facon a voyagé en Patagonie. Dans cet ouvrage, les deux photographes ont mêlé leurs travaux, ont mis en lumière ces correspondances et rendu hommage aux cultures amérindiennes.
La postface de Jean-Michel Rodrigo, documentariste engagé, ouvre la réflexion.
J'avais trois mille histoires à te raconter. J'étais là. Je n'en ai raconté : aucune. J'avais trois mille "une" histoires à te raconter. J'étais là. Je n'ai rien raconté. J'avais deux fois trois mille "une" histoires à te raconter, je me suis assise sur un banc, j'étais là, j'ai tenté de... Rien. J'avais tellement d'histoires à te raconter que je me suis assise sur un banc, et que je t'ai regardé, plusieurs jours, sans rien dire.
J'étais là. J'avais trois mille "une" fois trois mille "une" histoires à te raconter et je suis restée assise sur ce banc, là, à te regarder, une vie durant. Six mille histoires dans chaque main, 847 histoires dans chaque oeil, une brochette de petites histoires suspendues pour chacun de mes cheveux. Et je restais là sans rien dire, une vie durant, à te regarder.
Sous l'Apartheid, les Noirs n'avaient ni le droit de se réunir ni celui de consommer de l'alcool.
Dans les townships d'alors, des baraques faisaient office de bars clandestins, les shebeen. Ces shebeen étaient les seuls lieux où la liberté, dans les arrière-cours ou confinée entre des murs, trouvait un exutoire. S'y réunissaient les paumés, les ouvriers, l'alcoolisme ordinaire ainsi que les opposants au régime - la subversion. Les shebeen étaient des creusets, on y oubliait le système autant que s'y fourbissaient les armes de son renversement...
15 ans après la fin de l'Apartheid, que reste-il des shebeen ? Cette réflexion est la genèse de l'oeuvre. Ananias Léki Dago, photographe, est entré dans des shebeens, aujourd'hui. Il a pris le temps de l'observation, s'est posé, s'est s'imprégné de l'atmosphère pour transcrire au plus juste sa perception du réel. Pris au Leica, les clichés d'Ananias Léki Dago se nourrissent de lignes ; des bouteilles, des queues de billard, des fragments de corps se découpent, des mains s'attardent ; des ombres se creusent, se détachent.
L'écrivain Mongane Wally Serote situe sa nouvelle dans un shebeen. Un soir, un ancien résistant au régime de l'Apartheid échange des confidences désabusées avec une femme, solitaire comme lui. Par bribes, il se remémore le passé. Le shebeen, hier comme aujourd'hui, est un monde en soi ; décrit comme un organisme vivant où la chaleur des corps se mêle aux émanations d'alcool et fumées de cigarettes. Entre la nouvelle désenchantée de Serote et les fragments de silhouettes sur les photos d'Ananias, le lecteur se fait une image du shebeen.
Loin d'une vision romanesque, il apparaît comme un lieu fermé, atemporel ; presque ordinaire mais difficile d'accès et d'évasion.
Rémy Artiges photographie une nature en conserve, pasteurisée, où de fausses fleurs côtoient du faux gazon trop vert nettoyé à l'aspirateur, où l'espace naturel se réduit à un poster géant ornant le flanc d'un camion.
Reproduction de paysages idylliques, des posters et des bâches, tendus sur des murs ou des portes, reflètent le spectacle d'un paradis rural d'une effrayante banalité. Alors, de quoi parle-t-on ? De vaches, de saucissons ? De nature, d'agriculture. ou d'une représentation du monde agricole ni fictive, ni réelle, mais où l'idéal se confond avec l'obscène ?
Ce carnet suit une route, celle empruntée d'abord par Arthur Rimbaud au crépuscule du XIXe siècle, puis réempruntée par Éric Guglielmi sur les traces du poète à l'aube du XXIe. Alexandrie, Attigny, Le Caire, Calais, Charleroi, Civitavecchia, Deville, Harar, Hargnies, Les Hautes-Rivières, Laifour, Londres, Monthermé, Obock, Ostende, Renwez, Roche, Rome, Tadjoura, Voncq... Ces images d'aujourd'hui se rendent complices des métaphores d'hier. C'est aussi simple qu'une phrase musicale.
Iran. 1983. Payram s'enfuit de Téhéran et s'exile à Paris. Syrie. 2001. Payram se rend à Alep pour la première fois. Le sentiment de familiarité, la ressemblance avec Téhéran, est étourdissant. Il reviendra régulièrement en Syrie les dix années suivantes, accompagné de Nicolas Cartier dont les textes introduisent chacun des trois livres. De ces séjours sont issues les trois séries de Polaroid reproduites dans ce coffret : Savon, Métal et Pierre.
Trois matières simples qui font renaître en lui les souvenirs de la vie en Iran: le bazar de Damas lui rappelle celui qu'il parcourait avec son père; les savonneries d'Alep ont la même odeur que celles de Maragheh où sa mère achetait des savons pour la famille; la pierre évoque les carrières du quartier de Nezamabad, où travaillaient les tailleurs, croisés quotidiennement sur le chemin de l'école.
Ce coffret de 3 ouvrages est le souvenir photographique d'un exilé iranien ne pouvant plus photographier son pays.