« Je crois que notre génération doit savoir que la Bête de l'événement est làâ?- et elle arrive. » Qui peut bien parler comme cela en ce début des années 2020 ? Un prédicateur évangélique américain ? Un thuriféraire de la cause ukrainienne dénonçant l'Ennemi ? Un partisan de Trump dans l'attente de The Storm ? Perdu ! Il s'agit du président Emmanuel Macron (dans un entretien accordé au Financial Times). S'il est toujours surprenant, en plein XXIe siècle, de rencontrer ce qui apparaît comme des résurgences eschatologiques provenant d'un lointain Moyen Âge, il est carrément incroyable de les voir reprises par un homme qui a fait de la rationalité pragmatique son unique idéologie. Face à la succession de crises qui ébranlent le monde depuis plusieurs années, analystes, penseurs et responsables politiques proposent des tentatives d'interprétation. Parmi elles, nombreuses sont celles qui font appel à des références théologiques traditionnelles du discours apocalyptiques : châtiment divin, fin des temps, figure de l'Antichrist, attente d'un nouveau monde. Après la chute du communisme et la « proclamation » du capitalisme financier comme horizon ultime de l'humanité, la résurgence d'un mode de pensée apocalyptique doit peut-être être envisagée comme la réaction d'une partie des perdants de la mondialisation. À défaut de l'espoir d'une vie meilleure et en l'absence d'une idéologie qui s'oppose au capitalisme, nombreux sont ceux, issus des classes populaires abandonnées, à s'être tournés vers cet instrument de consolation ancestral qu'est la religion. Et ce n'est pas vers les églises traditionnelles qu'ils sont allés mais vers celles qui portent un discours eschatologique.
Sous nos yeux, notre société matérialiste, frappée de pestilence, s'est décomposée en quelques semaines. Ce que d'aucuns appellent d'un mot approprié le « darwino-capitalisme », ce pouvoir économique hostile aux faibles et impitoyable aux inutiles, a trouvé plus fort que lui.
Cet essai n'est pas un livre de plus sur la pandémie mais sur ce que nous avons consenti à perdre. Et si la nouvelle peste affectait nos sensibilités et nos valeurs humanistes depuis longtemps ? Ce drame attente à notre vérité profonde, à notre dignité, et telle est bien la seule question qui vaille la peine d'être posée : sommes-nous restés humains ? À moins que dans le culte de la performance et son progressisme militant, ce fanatisme propre aux utopies, nous ayons progressivement perdu notre humanité.