La figuration n'est pas tout entière livrée à la fantaisie expressive de ceux qui font des images. On ne figure que ce que l'on perçoit ou imagine, et l'on n'imagine et ne perçoit que ce que l'habitude nous a enseigné à discerner. Le chemin visuel que nous traçons spontanément dans les plis du monde dépend de notre appartenance à l'une des quatre régions de l'archipel ontologique : animisme, naturalisme, totémisme ou analogisme. Chacune correspond à une manière de concevoir l'ossature du monde, d'en percevoir les continuités et les discontinuités, notamment les diverses lignes de partage entre humains et non-humains.
Masque yup'ik d'Alaska, peinture sur écorce aborigène, paysage miniature de la dynastie des Song, tableau d'intérieur hollandais du XVIIe siècle : par ce qu'elle montre ou omet de montrer, une image révèle un schème figuratif particulier, repérable par les moyens formels dont elle use, et par le dispositif grâce auquel elle pourra libérer sa puissance d'agir. En comparant avec rigueur des images d'une étourdissante diversité, Philippe Descola pose magistralement les bases théoriques d'une anthropologie de la figuration.
S'abîmer Absence Adorable Affirmation Altération Angoisse Annulation Ascèse Atopos Attente Cacher Casés Catastrophe Circonscrire Coeur Comblement Compassion Comprendre Conduite Connivence Contacts Contingences Corps Déclaration Dédicace Démons Dépendance Dépense Déréalité Drame Écorché Écrire Errance Étreinte Exil Fâcheux Fading Fautes Fête Fou Gêne Gradiva Habit Identification Image Inconnaissable Induction Informateur Insupportable Issues Jalousie Je-t-aime Langueur Lettre Loquèle Magie Monstrueux Mutisme Nuages Nuit Objets Obscène Pleurer Potin Pourquoi Ravissement Regretté Rencontre Retentissement Réveil Scène Seul Signes Souvenir Suicide Tel Tendresse Union Vérité Vouloir-saisir
Longtemps, les femmes n'ont été que des corps, définies par leurs fonctions sexuelle et maternelle. La révolution féministe des années 1970 les a délivrées de ce carcan, mais il s'en est suivi une période de déconsidération de ces sujets. Enclenchée au début des années 2010, la « bataille de l'intime » a remis le corps féminin au centre. La philosophe Camille Froidevaux-Metterie propose de le saisir sous ses deux aspects : lieu de la domination masculine et vecteur d'une pleine émancipation. Déroulant les étapes corporelles qui scandent la vie des femmes, l'autrice pose les jalons qui leur permettront de reprendre possession de leurs corps, dans toutes ses dimensions. À l'écoute des luttes les plus contemporaines, son féminisme incarné s'attaque au socle même du patriarcat et renouvelle les fondements théoriques du féminisme.
Notre vie quotidienne se nourrit de mythes : le catch, le striptease, l'auto, la publicité, le tourisme... qui bientôt nous débordent. Isolés de l'actualité qui les fait naître, ils apparaissent soudainement pour ce qu'ils sont : l'idéologie de la culture de masse moderne. Le mythologue Roland Barthes les décrypte ici avec le souci - formulé dans l'essai sur le mythe aujourd'hui qui clôt l'ouvrage - de réconcilier le réel et les hommes, la description et l'explication, l'objet et le savoir.
" Nous voguons sans cesse entre l'objet et sa démystification, impuissants à rendre sa totalité : car si nous pénétrons l'objet, nous le libérons mais nous le détruisons ; et si nous lui laissons son poids, nous le respectons, mais nous le restituons encore mystifié. " Roland Barthes
Et si notre civilisation s'effondrait ? Non pas dans plusieurs siècles, mais de notre vivant. Loin des prédictions Maya et autres eschatologies millénaristes, un nombre croissant d'auteurs, de scientifiques et d'institutions annoncent la fin de la civilisation industrielle, voire la fin des conditions propices à la vie telle que nous l'avons connue.
Pablo Servigne et Raphaël Stevens décortiquent les ressorts d'un possible effondrement et proposent un tour d'horizon pluridisciplinaire de ce sujet qu'ils nomment la « collapsologie ». Aujourd'hui, l'utopie a changé de camp : est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. L'effondrement est l'horizon de notre génération, c'est le début de son avenir. Qu'y aura-t-il après ? Tout cela reste à penser, à imaginer, et à vivre...
La décolonisation faite, cet essai de compréhension du rapport Noir-Blanc a gardé toute sa valeur prophétique : car le racisme, malgré les horreurs dont il a affligé le monde, reste un problème d'avenir.
Il est ici abordé et combattu de front, avec toutes les ressources des sciences de l'homme et avec la passion de celui qui allait devenir un maître à penser pour beaucoup d'intellectuels du tiers monde.
Une autre fin du monde est possible.
La situation critique dans laquelle se trouvent la biosphère et nos sociétés n'est plus à démontrer. Les dynamiques d'effondrements passent progressivement du probable au tangible, signifiant la fin du monde tel que nous le connaissons.
Comment se projeter au-delà et dessiner les contours non pas d'une survie, mais d'une manière de vivre ce siècle de catastrophes ? Comment passer d'une posture de repli à un enthousiasme collectif ? Les auteurs montrent qu'un changement de cap ouvrant à de nouveaux horizons passe nécessairement par un cheminement intérieur et par une remise en question radicale de notre vision du monde. En plus de la collapso-logie (science), il est nécessaire d'aller explorer la collapso-sophie (sagesse)...
La vraie vie des Français n'est pas dans les théories générales ou les moyennes statistiques. Si, au cours des principaux mouvements sociaux des dernières années (retraites, Gilets jaunes, #MeToo), les nouvelles géographies des fractures politiques et l'instauration d'un climat de défiance ont été bien documentées, la nature des attentes, des colères et des peurs dont elles dérivent n'a pas encore été déchiffrée.
Cet essai propose des outils pour décrypter cette boîte noire. Il se fonde sur une analyse des épreuves auxquelles les Français se trouvent communément confrontés au quotidien. C'est en partant notamment des expériences vécues du mépris, de l'injustice, des discriminations et de l'incertitude que l'on peut comprendre autrement la société. Une autre manière de réagir aux événements et de produire du commun se fait ainsi jour.
La domination masculine est tellement ancrée dans nos inconscients que nous ne l'apercevons plus, tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question.
La description ethnographique de la société kabyle, conservatoire de l'inconscient méditerranéen, fournit un instrument puissant pour dissoudre les évidences et explorer les structures symboliques de cet inconscient androcentrique qui survit chez les hommes et les femmes d'aujourd'hui.
Mais la découverte des permanences oblige à renverser la manière habituelle de poser le problème : comment s'opère le travail historique de déshistorisation ? Quels sont les mécanismes et les institutions, Famille, Église, École, État, qui accomplissent le travail de reproduction ? Est-il possible de les neutraliser pour libérer les forces de changement qu'ils entravent ?
« Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu'elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n'est point contraire à la raison. Vénérable, en donner respect.
La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu'elle fût vraie et puis montrer qu'elle est vraie.
Vénérable parce qu'elle a bien connu l'homme.
Aimable parce qu'elle promet le vrai bien ».
Pensées, Fragment 12.
Recueil d'une multitude de fragments épars découverts à la mort de Pascal, en 1662, les Pensées ont connu une prospérité qui ne s'est jamais démentie au fil des siècles : de traité apologétique de la religion chrétienne au xviie siècle, cet essai est devenu de nos jours un incontournable classique de la philosophie et de la métaphysique.
L' « autre » langue des femmes, c'est la parole qui émerge lorsqu'elles se définissent pour ce qu'elles sont, pas en fonction de ce qui leur est infligé. Ce langage fut toujours parlé en Afrique, contredisant ainsi la posture victimaire d'un certain activisme occidental.
S'appuyant sur l'histoire, les mythes et pratiques sociales des Subsahariennes, Léonora Miano nous initie à un riche matrimoine. Ces femmes régnèrent sur des sociétés patriarcales, s'engagèrent dans les luttes anticoloniales et furent conscientes de leur valeur en tant qu'individus souverains. Pourtant, la riche expérience des Africaines subsahariennes reste méconnue. Sans s'identifier à ces femmes ni voir en elles des références, on entend leur prescrire un modèle d'émancipation calqué sur une pensée hégémonique. Puissant et éclairant, L'Autre Langue des femmes est un plaidoyer indispensable en faveur d'une alternative africaine au féminisme occidental.
En quelques décennies, tout a changé. La France, à l'heure des gilets jaunes, n'a plus rien à voir avec cette nation une et indivisible structurée par un référentiel culturel commun. Or la dynamique de cette métamorphose révèle un archipel d'îles s'ignorant les unes les autres.
Le socle de la France d'autrefois, sa matrice catho-républicaine, s'est complètement disloqué. Jérôme Fourquet envisage d'abord les conséquences anthropologiques et culturelles de cette érosion. Mais, plus encore, ces mutations profondes de la nouvelle France induisent un effet d'« archipelisation » de la société tout entière : sécession des élites, autonomisation des catégories populaires, formation d'un réduit catholique, instauration d'une société multiculturelle de fait, dislocation des références culturelles communes.
Dans ce contexte de fragmentation sans précédent, on comprend mieux la crise que traverse notre système politique, où l'agrégation des intérêts particuliers au sein de coalitions larges est tout simplement devenue impossible.
Mieux vaux enseigner les vertus que condamner les vices. La morale n'est pas là pour nous culpabiliser, mais pour aider chacun à être son propre maître, son unique juge. Dans quel but ? Pour devenir plus humain, plus fort, plus doux.
De la Politesse à l'Amour en passant par le Courage et la Tolérance, André Comte-Sponville, en s'appuyant sur les plus grands philosophes, nous fait découvrir dix-huit de ces vertus qui nous manquent et nous éclairent. À pratiquer sans modération.
Face à la montée des inégalités, aux désastres politiques et aux catastrophes environnementales, les auteurs montrent que tout n'est pas perdu à la condition de dresser, d'abord, un constat honnête. Ces pages analysent où et quand les économistes ont échoué, aveuglés par l'idéologie, et traquent les fausses évidences sur les questions d'immigration, de libre-échange, de croissance, d'inégalités, de changement climatique.
Si cet ouvrage renverse nombres d'idées reçues, il est aussi un appel à l'action. Il répond à l'urgence de temps troublés en offrant un panel d'alternatives aux politiques actuelles. Car une bonne science économique peut faire beaucoup. Appuyée sur les dernières avancées de la recherche, sur des expériences et des données fiables, elle est un levier pour bâtir un monde plus juste et plus humain.
Où en sont-elles ?
Pour comprendre l'émancipation des femmes de notre présent, Emmanuel Todd retrace, depuis l'origine, l'évolution de la famille dans l'espèce Homo sapiens. Il mène une large étude empirique de la convergence entre hommes et femmes et des différences qui persistent - d'e´ducation, de me´tier, de longe´vite´, de suicide ou d'homicide, de comportement e´lectoral ou de racisme.
Il suggère que l'e´mancipation des femmes a, pour l'essentiel, de´ja` eu lieu mais qu'elle a conduit à des contradictions nouvelles. En me^me temps que la liberté, les femmes découvrent l'anxiété économique, l'anomie, le ressentiment - individuel ou de classe.
Un livre qui s'efforce de comprendre, hors des sentiers trop fréquentés de l'idéologie, les paradoxes de notre révolution anthropologique.
Grâce à des cartes précises, cet ouvrage montre que les variations locales de l'opinion lors des élections obéissent souvent à une logique historique de longue durée qui se déroule en trois stades : apparition d'une nouvelle opinion à cause d'un évènement singulier, propagation sur un terrain préexistant, limitation par les territoires des opinions rivales. Au fil des pages, Bonnets rouges, Gilets jaunes, partisans de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT), militants du Rassemblement national, du Parti communiste, de la droite et de la gauche, prennent place dans l'espace français. Cette étude révèle alors l'épuisement actuel de l'opposition droite /gauche et les tentatives pour remplacer cette opposition, avec la réapparition de clivages souvent très anciens.
« Dans ce livre j'ai tenté de livrer directement de bouche à oreille un peu de cet univers grec auquel je suis attaché et dont la survie en chacun de nous me semble, dans le monde d'aujourd'hui, plus que jamais nécessaire. Il me plaisait aussi que cet héritage parvienne au lecteur sur le monde de ce que Platon nomme des fables de nourrice, à la façon de ce qui passe d'une génération à la suivante en dehors de tout enseignement officiel.
J'ai essayé de raconter comme si la tradition de ces mythes pouvait se perpétuer encore. La voix qui autrefois, pendant des siècles, s'adressait directement aux auditeurs grecs, et qui s'est tue, je voulais qu'elle se fasse entendre de nouveau aux lecteurs d'aujourd'hui, et que, dans certaines pages de ce livre, si j'y suis parvenu, ce soit elle, en écho, qui continue à résonner. »
Dans cette fresque documentée, Élisabeth Roudinesco raconte l'histoire des hommes, des femmes et des doctrines qui ont incarné en France cette révolution de l'âme qu'est la psychanalyse. Elle met en perspective les théories, les mouvements et les débats qui n'ont cessé d'animer le milieu psychanalytique et psychiatrique, ainsi que le champ intellectuel et politique français, de 1885 jusqu'à 1939 : de l'arrivée à Paris de Freud, venu assister aux leçons de Charcot à la Salpêtrière, jusqu'à sa mort à Londres.
Doctrine de la sexualité, théorie de l'inconscient et du transfert, patients, thérapeutes, rien ne manque à cette histoire dont on redécouvre combien elle a été le lieu d'âpres combats, de résistances et d'innovations conceptuelles.
Vivre sans pourquoi, quitter la dictature de l'après, oser un amour plus vrai : un véritable art de vivre. Alexandre Jollien retrace l'itinéraire spirituel qui l'a conduit à tout quitter pour s'installer avec sa femme et ses trois enfants en Corée du Sud. Il confie ses doutes, ses désillusions, ses moments de bonheur. Il livre un enseignement lumineux, un appel toujours plus fort à descendre au plus profond de soi pour trouver la paix, la joie et un authentique amour du prochain. Ce journal spirituel est une invitation à mettre en pratique une ascèse très concrète : du corps, de l'âme et de l'autre, il faut prendre grand soin.
Olivier Sacks décrit dans ce livre les affections les plus bizarres, celles qui atteignent un homme dans son corps, comme dans sa personnalité la plus intime et dans l'image qu'il a de lui-même. Il nous fait ainsi pénétrer dans un royaume peuplé de créatures étranges : un marin qui ayant perdu la notion du temps, vit prisonnier d'un instant perpétuel, un homme qui se croit un chien renifle l'odeur du monde, un musicien qui prend pour un chapeau la tête de sa femme, et bien d'autres encore.
L'auteur pose aussi les jalons d'une médecine nouvelle, plus complète, traitant le corps mais ne refusant pas de guérir aussi l'esprit, et même l'âme.
Le coeur brisé, les nerfs à fleur de peau, la gorge serrée : l'émotion nous saisit, nous possède. Mais si nos émotions nous paraissent évidentes, sont-elles pour autant authentiques, universelles ? Pourquoi sont-elles forcément plus sincères que nos attitudes réfléchies ? Parcourant les différentes conceptions philosophiques de cet affect et, en particulier, la théorie platonicienne du contrôle des passions, Vinciane Despret déconstruit la thèse d'une naturalité, d'une universalité et d'une spontanéité des émotions. À partir de travaux d'ethnologues et de sociologues, elle montre que nos émotions n'existent pas en soi, mais uniquement dans la relation à autrui. On n'a plus alors à s'étonner que la colère n'existe pas chez les uktus, que les ifaluks doivent « enseigner » la peur à leurs enfants. Nos émotions sont finalement autant de versions du monde et de manière de l'habiter.
Nous n'avons cessé de représenter les diverses manières que l'amour a de faire miraculeusement irruption dans nos vies. Pourtant, cette culture qui a tant à dire sur la naissance de l'amour est beaucoup moins prolixe lorsqu'il s'agit des moments, non moins mystérieux, où l'on évite de tomber amoureux, où l'on devient indifférent à celui ou celle qui nous tenait éveillé la nuit, où l'on cesse d'aimer.
Eva Illouz fait du « désamour » un problème sociologique de première importance et examine l'ensemble des façons qu'ont les relations d'avorter à peine commencées, de se dissoudre faute d'engagement, d'aboutir à une séparation ou un divorce, ce qu'elle désigne comme des « relations négatives ». L'amour semble aujourd'hui marqué par la liberté de ne pas choisir, faisant du non-choix une nouvelle modalité de l'action. La sociologie, non moins que la psychologie, a beaucoup à dire sur le désarroi qui règne dans nos vies privées.
Pourquoi le Japon ? Parce que c'est le pays de l'écriture : de tous les pays que l'auteur a pu connaître, le Japon est celui où il a rencontré le travail du signe le plus proche de ses convictions et de ses fantasmes, ou, si l'on préfère, le plus éloigné des dégoûts, des irritations et des refus que suscite en lui la sémiocratie occidentale. Le signe japonais est fort : admirablement réglé, agencé, affiché, jamais naturalisé ou rationalisé. Le signe japonais est vide : son signifié fuit, point de dieu, de vérité, de morale au fond de ces signifiants qui règnent sans contrepartie. Et surtout, la qualité supérieure de ce signe, la noblesse de son affirmation et la grâce érotique dont il se dessine sont apposées partout, sur les objets et sur les conduites les plus futiles, celles que nous renvoyons ordinairement dans l'insignifiance ou la vulgarité. Le lieu du signe ne sera donc pas cherché ici du côté de ses domaines institutionnels : il ne sera question ni d'art, ni de folklore, ni même de « civilisation » (on n'opposera pas le Japon féodal au Japon technique). Il sera question de la ville, du magasin, du théâtre, de la politesse, des jardins, de la violence ; il sera question de quelques gestes, de quelques nourritures, de quelques poèmes ; il sera question des visages, des yeux et des pinceaux avec quoi tout cela s'écrit mais ne se peint pas.
Roland Barthes