Le Narrateur se souvient de l'enfant qu'il fut. L'attente du baiser maternel du soir, les déjeuners du dimanche chez tante Léonie, les cadeaux de la grand-mère. Il est fasciné par M. Swann, un ami de ses parents, amoureux fou d'une femme qui aime tout le monde sauf lui. Il tombe amoureux de sa fille, Gilberte, qui ne le rendra pas plus heureux. A travers ces scènes de vies - intimes ou mondaines, tragiques ou comiques - passent des impressions, des parfums, des visions. Des nymphéas à la surface d'une rivière, une madeleine oubliée dans une tasse de thé, des catleyas dans les cheveux d'une femme aimée, une bille d'agate offerte en gage d'amitié... Mais, une fois adulte, comment demeurer cet enfant émerveillé dans un monde que l'on ne reconnait plus, où l'amour est souffrance, où le désir est jalousie, où «le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant» ? Réminiscences de l'enfance perdue, roman d'amour impossible, satire de la haute société emprisonnée dans l'éphémère de la mode, mais aussi étude philosophique sur la mémoire involontaire : Du côté de chez Swann est tout cela à la fois.Qu'est-ce qu'un chef-d'oeuvre ? Un palais du souvenir, aux mille portes d'entrée, où chaque lecteur éprouve une émotion singulière, toujours renouvelée.
«Tout d'un coup, dans le petit chemin creux, je m'arrêtai touché au coeur par un doux souvenir d'enfance : je venais de reconnaître, aux feuilles découpées et brillantes qui s'avançaient sur le seuil, un buisson d'aubépines défleuries, hélas, depuis la fin du printemps. Autour de moi flottait une atmosphère d'anciens mois de Marie, d'après-midi du dimanche, de croyances, d'erreurs oubliées. J'aurais voulu la saisir. Je m'arrêtai une seconde et Andrée, avec une divination charmante, me laissa causer un instant avec les feuilles de l'arbuste. Je leur demandai des nouvelles des fleurs, ces fleurs de l'aubépine pareilles à de gaies jeunes filles étourdies, coquettes et pieuses. "Ces demoiselles sont parties depuis déjà longtemps", me disaient les feuilles.»
«- Monsieur, je vous jure que je n'ai rien dit qui pût vous offenser.
- Et qui vous dit que j'en suis offensé, s'écria M. de Charlus avec fureur en se redressant violemment sur la chaise longue où il était resté jusque-là immobile, cependant que, tandis que se crispaient les blêmes serpents écumeux de sa face, sa voix devenait tour à tour aiguë et grave comme une tempête assourdissante et déchaînée... Pensez-vous qu'il soit à votre portée de m'offenser ? Vous ne savez donc pas à qui vous parlez ? Croyez-vous que la salive envenimée de cinq cents petits bonshommes de vos amis, juchés les uns sur les autres, arriverait à baver seulement jusqu'à mes augustes orteils ?»
«Les parties blanches de barbes jusque-là entièrement noires rendaient mélancoliques le paysage humain de cette matinée, comme les premières feuilles jaunes des arbres alors qu'on croyait encore pouvoir compter sur un long été, et qu'avant d'avoir commencé d'en profiter on voit que c'est déjà l'automne. Alors moi qui depuis mon enfance, vivant au jour le jour et ayant reçu d'ailleurs de moi-même et des autres une impression définitive, je m'aperçus pour la première fois, d'après les métamorphoses qui s'étaient produites dans tous ces gens, du temps qui avait passé pour eux, ce qui me bouleversa par la révélation qu'il avait passé aussi pour moi. Et indifférente en elle-même, leur vieillesse me désolait en m'avertissant des approches de la mienne.»
1898 : en pleine affaire Dreyfus, le Paris fin-de-siècle se divise ; mais c'est un tout autre enjeu qui se trame dans la cour d'un hôtel particulier. La parade amoureuse de Charlus et Jupien - un bourdon autour d'une fleur - révèle au Narrateur la «race maudite» des «hommes-femmes», survivants de Sodome et Gomorrhe. Narrateur et lecteurs deviennent voyeurs. Ainsi, dans cette après-midi printanière, nous sommes bien loin du charme bucolique de Combray et des intermittences du coeur : l'âge adulte et le trouble des désirs émergent brutalement. Honteuse ou heureuse, «l'inversion» inquiète le Narrateur. Albertine lui est-elle acquise ?Mais l'écume des choses n'est rien à côté du chagrin retrouvé au souvenir de la mort de sa grand-mère. Quelles traces laisser, comment se survivre à soi-même ? Dans ce théâtre mondain et politique, la société est, sans le savoir, en pleine transformation.Dernier volume publié du vivant de Proust, Sodome et Gomorrhe est une prouesse de lucidité, d'audace et de modernité sur la société et sur l'individu. Progrès techniques et troubles du genre annoncent un monde nouveau, qui est déjà le nôtre.
Ce court roman (deuxième partie de Du côté de chez Swann) contient tout ce qu'on aime lire : une peinture sociale, celle de l'immortel clan Verdurin et du cercle aristocratique de Mme de Saint-Euverte, dans les années 1880 ; une histoire d'amour et de jalousie, mettant en scène un dandy et une courtisane ; des réflexions sur l'art (peinture et musique) ; le comique et le tragique ; le passage du temps et le phénomène de mémoire involontaire ; enfin, un récit tout en analyse et des dialogues étincelants, et bien souvent hilarants. Proust a mis ici tout ce qu'il pense et sent sur l'amour. Roman qui condense toute la Recherche, confession intime cryptée, Un amour de Swann est un chef-d'oeuvre dont le sens est caché sous de multiples enveloppes, métamorphoses, synthèses et fusions - profondeur que n'épuise jamais la lecture.
Dès le réveil, été comme hiver, le temps parisien entre par la fenêtre du Narrateur, frontière entre le monde et l'intime. «Ce fut surtout de ma chambre que je perçus la vie extérieure pendant cette période.» Car, profitant d'une absence de sa mère, il a installé chez lui la femme aimée, Albertine, passagère clandestine qu'il tient cachée et surveille à chaque sortie, dans la crainte qu'elle lui préfère tel autre homme ou telle femme. Comment la retenir ? Faut-il dorer la cage du bel oiseau, cadeau après cadeau, dans une débauche de luxe ? Renoncer pour elle à sortir, à voyager, à vivre, en se consumant d'une jalousie sans objet ? Fou d'amour et de douleur, il se fait peu à peu le prisonnier de sa prisonnière. Tandis qu'Albertine devient la geôlière de son geôlier. L'amour est-il la valse mélancolique de deux victimes consentantes ? Dans ce magnifique roman introspectif paru en 1923, Proust développe magistralement sa vision de la jalousie, corollaire nécessaire de l'amour. Cet extraordinaire huis-clos est le récit d'une passion démesurée, qui se dévore elle-même. La Prisonnière offre l'une des plus belles réflexions de la littérature sur l'impossibilité de l'amour, pourtant éternellement recommencé.
Nouvelle édition revue en 1992
Pour un nombre considérable de lecteurs, À la recherche du temps perdu est une oeuvre à part, la référence, le Livre. Au catalogue de la Pléiade, le coffret réunissant ses quatre volumes fait figure de navire amiral. L'établissement du texte, l'appareil critique, les Esquisses qui révèlent le roman en formation rendent cette édition irremplaçable. Selon toute vraisemblance, ce n'est que par crainte de devoir acquitter un supplément de bagage que les voyageurs ne l'emportent pas plus souvent sur l'île déserte.À l'occasion du centième anniversaire de la mort de Proust, la Pléiade propose à titre exceptionnel, et à tirage limité, le texte de la Recherche, intégral et nu (les notes et les Esquisses restant l'apanage de l'édition en quatre volumes), en deux tomes d'environ 1500 pages chacun. Ce tirage satisfera les globe-trotters, sans leur être réservé. Les sédentaires le placeront près de leur fauteuil. Les promeneurs le glisseront dans leurs poches. Toute table de chevet pourra l'accueillir. Une oeuvre-monde, toujours à portée de main, explorable à l'infini.
Nouvelle édition sous étui illustré
Cette édition d'À la recherche du temps perdu présente l'oeuvre de Marcel Proust sous un jour entièrement nouveau. Les trente ans qui nous séparent de l'édition précédente ont permis de connaître un ensemble de documents uniques au monde, et que nous sommes seuls à pouvoir offrir au lecteur. Ainsi, dans ce volume, à la suite de Du côté de chez Swann et de la première partie d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs, on lira un choix très large d'esquisses tirées des cahiers de brouillon qui donnèrent naissance au texte définitif, seul connu du public jusqu'à ce jour : quatre cents pages, qui ont déjà la beauté de l'oeuvre achevée mais gardent le charme propre aux commencements, et font découvrir de nombreux faits, de nombreuses idées, de nombreux personnages inconnus. Ces inédits et ceux que l'on trouvera dans les variantes du volume composent une véritable biographie littéraire. Au service de ce dessein, un appareil critique réunit la documentation la plus complète possible et permet de comprendre les allusions les plus énigmatiques. Le texte lui-même a été réétabli grâce à des documents dont nous disposions pour la première fois : il est désormais plus proche de ce que souhaitait son auteur. Roman comique, roman tragique, roman d'aventures, roman érotique, roman poétique, roman onirique, roman d'une expérience unique, somme de tous les romans et de deux mille ans de littérature, À la recherche du temps perdu est devenu un monument historique. Mais c'est un monument encore habité.
Deuxième partie de Du côté de chez Swann, paru en 1913 et parfois pris à tort pour le volume inaugural d'À la recherche du temps perdu, Un amour de Swann s'est imposé dans la seconde moitié du XXe siècle comme une oeuvre à part entière. Proust, qui avait lui-même qualifié ce chapitre de « plus public » que « Combray », y raconte l'histoire d'amour ternie par la souffrance et la jalousie de Charles Swann et d'Odette de Crécy. D'abord indifférent à l'égard de celle que le grand monde voit comme une « cocotte », Swann finit par s'éprendre d'Odette jusqu'à l'obsession et connaître les plus sombres tourments de l'amour malheureux. Dans ces pages où la justesse du propos et la finesse des analyses ne manquent pas de surprendre, Proust esquisse derrière le personnage de Swann un double de son narrateur, mais nous livre aussi une profonde réflexion sur le sentiment amoureux, le désir, la jalousie, non sans rayer la société bourgeoise de son époque.
Édition de Matthieu Vernet et Francesca Lorandini.
Un homme expulsé de lui-même, réfugié dans son oeuvre, métamorphosé en roman ; un roman en perpétuelle mutation, en vie, toujours plus autre et toujours plus lui-même ; un extraordinaire travail de la mémoire - et de l'imaginaire - à la recherche des paradis perdus, qui sont les seuls vrais paradis ; un art qui fait oublier l'art ; une oeuvre d'art et une théorie de l'art ; et finalement le rêve d'une synthèse de tous les arts : À la recherche du temps perdu est tout cela, et encore ceci : la recréation d'un univers, distinct du monde réel, non littéraire, qui lui a donné naissance, mais vivant en nous et survivant, une fois refermé le livre, en d'infinis échos. Jacques Copeau, devant des épreuves corrigées par Proust, s'écriait : «Mais c'est un nouveau livre !» C'est que, en vivant, en transformant en aventures la découverte du sens, de l'art et du passé, Proust réinfusait à son texte cette «surnourriture» qui lui donne son incomparable richesse et fait que la Recherche s'égale, selon l'expression de Jean-Yves Tadié, à «la somme de ses états successifs». D'où la formule de cette édition, aujourd'hui complète puisque vient de paraître le tome IV : elle offre à la fois l'oeuvre et la biographie de l'oeuvre. Le texte définitif du roman est paré de «ce merveilleux vernis qui brille du sacrifice de tout ce qu'on n'a pas dit» (Sésame et les Lys) ; mais les brouillons de Proust sont également là, nous donnant ce privilège, nouveau, d'accompagner l'auteur dans sa descente vers toujours plus de profondeur. La présente édition, qui se veut la meilleure exposition possible des textes de Proust, ouvre aussi toutes grandes les portes de l'atelier de l'artiste, un atelier semblable à celui d'Elstir, tapissé d'esquisses. Comme le romancier en jetant sur son ouvrage un regard rétrospectif lui confère son unité, le lecteur, qui peut envisager l'oeuvre dans tout son relief, dispose désormais des éléments nécessaires, depuis les cryptes jusqu'à la flèche, pour reconstruire la cathédrale.
Coffret de quatre volumes vendus ensemble, réunissant des réimpressions récentes des premières éditions (1987, 1988, 1989).
La seconde partie d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs annonce un progrès dans la découverte des réalités. Le narrateur-héros y raconte son séjour au Grand-Hôtel de la station balnéaire de Balbec, ville rêvée, tout enveloppée de brumes, dans laquelle s'amorce le contact avec cet autre univers fantasmé, le royaume de Guermantes. À Balbec encore, la rencontre du peintre Elstir dévoile au narrateur quelques-unes des vérités essentielles qu'il avait vainement cherchées jusqu'alors.
Après les déceptions d'A l'Ombre des jeunes filles en fleurs, Le Côté de Guermantes, versant opposé du Côté de chez Swann, est encore un roman de la désillusion. Introduit dans le monde des Guermantes - auréolé depuis l'enfance des couleurs du mythe -, le narrateur prend progressivement et douloureusement conscience de la non-coïncidence des noms et des personnes, que seul l'écrivain qu'il deviendra parviendra après coup à réconcilier.
«Etait-ce vraiment à cause de dîners tels que celui-ci que toutes ces personnes faisaient toilette et refusaient de laisser pénétrer des bourgeoises dans leurs salons si fermés ? Pour des dîners tels que celui-ci ? Pareils si j'en avais été absent ? J'en eus un instant le soupçon, mais il était trop absurde.
Ainsi s'interroge le narrateur, au sortir d'un diner chez la duchesse de Guermantes, qui lui a fait la surprise de l'inviter. De la mort de la grand-mère à l'annonce de celle de Swann, visites et surprises se succèdent dans ce volume où l'on découvre que le paillasson du vestibule des Guermantes n'était pas le seuil mais «le terme du monde enchanté des noms».
Au cours de divers déplacements en voiture, le narrateur réfléchit à la place que les heures perdues dans le monde devront tenir dans l'oeuvre à faire. Et c'est dans le salon des Guermantes qu'il élabore une théorie de la composition qui semble bien être celle de A la recherche du temps perdu.
Cette édition a été préparée d'après l'édition originale de 1921 et en collationnant tous les documents autographes - brouillons, manuscrits, additions sur les dactylographies et corrections sur épreuves - qui ont formé les couches successives du texte.
E. D.-J.
Texte intégral
«Au nombre des habitués de Mme Verdurin, et le plus fidèle de tous, comptait maintenant depuis plusieurs mois M. de Charlus. Régulièrement, trois fois par semaine, les voyageurs qui stationnaient dans les salles d'attente ou sur le quai de Donciéres-Ouest voyaient passer ce gros homme aux cheveux gris, aux moustaches noires, les lèvres rougies d'un fard qui se remarque moins à la fin de la saison que l'été où le grand jour le rendait plus cru et la chaleur à demi liquide. Tout en se dirigeant vers le petit chemin de fer, il ne pouvait s'empêcher (seulement par habitude de connaisseur, puisque maintenant il avait un sentiment qui le rendait chaste ou du moins, la plupart du temps, fidèle) de jeter sur les hommes de peine, les militaires, les jeunes gens en costume de tennis, un regard furtif, à la fois inquisitorial et timoré, après lequel il baissait aussitôt ses paupières sur ses yeux presques clos avec l'onction d'un ecclésiastique en train de dire son chapelet, avec la réserve d'une épouse vouée à son unique amour ou d'une jeune fille bien élevée.»
Le cinquième volume d'À la recherche du temps perdu, paru en 1923, est le premier des trois posthumes. Il repose sur un étrange huis clos, entre Albertine, prisonnière insaisissable, et le héros, qui s'enferme dans l'enfer de la jalousie, mais s'approche du moment où va éclore sa vocation.
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure », le célèbre incipit est énoncé par un narrateur « je », insomniaque qui se remémore les différentes chambres à coucher de son existence. Il évoque ainsi les souvenirs de Combray, lieu de villégiature de son enfance...
Héritier de racine, de saint-simon et de mme de sévigné, proust intègre aussi tout le xixe siècle.
Comme dans les illusions perdues ou dans l'education sentimentale, il y a dans la recherche un roman de paris qui côtoie un roman de la province ; de même, combray est une métamorphose de combourg, charlus, la dernière incarnation de vautrin, le catleya d'odette, une autre fleur du mal, et les rêves du narrateur prolongent ceux d'aurélia.
Mais si on peut lire proust comme un résumé de la littérature, son projet parvient aussi à transfigurer la matière et la perspective de ses prédécesseurs illustres.
Son oeuvre se veut à la fois le livre du savoir total et le livre qui rassemble tous les livres : il y a un proust de la biologie, un proust de la médecine, un proust de la mode, un proust de la peinture, un proust de la musique ; on peut découvrir aussi dans la recherche un traité de psychologie, un essai philosophique, une quête initiatique, l'histoire d'une passion, un " nouveau roman ", la seconde bible de l'humanité.
Car, bien plus que la religion de la beauté dont ruskin fut le prophète, proust célèbre la religion de la littérature et vient annoncer aux hommes la bonne nouvelle : grâce à la littérature, nous pourrons échapper au temps et à la mort.
" elle est retrouvée !
Quoi ? l'éternité ".
André Alain Morello.