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ELSA BOYER
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Dennis Cooper présente lui-même J'ai fait un voeu, comme son entreprise la plus personnelle et intime : écrire sur George Miles qui lui a inspiré les romans Closer, Frisk, Try, Guide et Period entre 1989 et 2000. Cooper a construit une mythologie littéraire autour de ce personnage. « J'avais, depuis très longtemps, envie d'écrire un roman sur le vrai George Miles... un sujet très difficile pour moi », explique celui que Bret Easton Ellis qualifie de « dernier hors-la-loi de la fiction américaine ». Il s'agit de sortir George Miles, l'ami et amant suicidé dans l'oubli à trente ans, des personnages de fiction qu'il avait inspirés. Georges et Dennis seront les deux personnages principaux du livre. Mais dès le départ tout déraille, George se dédouble, en différentes versions, à plusieurs âges différents, et dans plusieurs situations. Ce roman est une variation de fictions autobiographiques où les personnages, les sentiments se transforment, se déplacent, mutent. La narration devient un labyrinthe à géométrie variable où le désir défait à la fois l'enveloppe des personnages et les intentions du narrateur, multipliant les degrés de fiction : autobiographie, fantastique, comique. Dans quel monde de fiction raconter la perte et le deuil ? Le narrateur tente la réécriture du Coeur est un chasseur solitaire, de Carson McCullers, ou d'un conte de fées, convoque drôlement la figure du Père Noël ou celle d'un serial killer, crée une circulation ininterrompue entre différentes formes, et des passages qui laissent le lecteur hilare, et d'autres où la fragilité du texte devient bouleversante : une plaie à la tête à coup de hache, le pistolet du suicide, les ratés du langage et de l'art conceptuel, les chansons de Nick Drake. Les variations étranges, et l'aspect hautement comique de J'ai fait un voeu, ses éruptions de sang, de sexe et d'émotion évoquent aussi les GIFs, ces images qui tournent en boucle sur internet et que Dennis Cooper manipule pour en faire des romans en ligne inspirés des espaces du jeu vidéo.
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While Standing in Line for Death (Avant de mourir à son tour) est le premier livre du poète contemporain américain CAConrad traduit et publié en français : « un recueil de 18 rituels de poésie somatique et de poèmes qui en résultent ». Le rituel est une manière d'introduire l'anecdote, le quotidien, la revendication politique, les corps et les affects dans une poésie extrêmement inventive, aux formes multiples. L'enjeu réside autant dans le choix du rituel, sa mise en oeuvre, que la prise de notes, le travail pour former un poème. Ces rituels se servent de la matière, d'images, de cristaux, d'objets, de repas, de liquides, de situations quotidiennes. Chez CAConrad la poésie devient une forme de guérison, notamment ici après une expérience traumatique personnelle au coeur du livre. Son amoureux, Earth, a été violé, torturé, assassiné par un groupe de personnes homophobes, puis la police a couvert le meurtre, le faisant passer pour un suicide. Les poèmes oscillent entre insultes, lyrisme, prosaïsme, installations verbales, offrant une conception très physique, musculaire, de la poésie. Rarement la littérature est à ce point comprise et utilisée comme action pratique sur les vies intimes et collectives, et communication directe avec notre présence au monde, aux êtres, aux objets de la création.
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Troisième ouvrage issu de la collaboration entre Antonio Negri et Michael Hardt, Commonwealth poursuit la critique du triumvirat république, modernité et capital, en affirmant la nécessité d'instituer et de gérer un monde de richesses partagées. Le commun en question est de nature écologique mais aussi biopolitique, puisque ce sont les connaissances, langages, images, codes, affects et réseaux de communication qu'une société produit de manière collective. Face à une république devenue république de la propriété privée - tant au niveau national que global - au fil des constitutions et des grandes révolutions bourgeoises, la multitude doit apprendre à se réapproprier le commun, et devenir par là un projet d'organisation politique.
Pour ce faire la critique ne suffit pas, aussi Negri et Hardt esquissent-ils les ligne de fuite de l'alter-modernité - ces forces de résistance mais aussi de renouvellement. Negri et Hardt confient donc la lutte des classes à l'autonomie croissante du travail biopolitique. Ainsi les aptitudes économiques montrent la voie aux aptitudes politiques de la multitude. Cet ouvrage, et l'étude des manières d'instituer le commun qu'il propose, gagne une nouvelle perspective au vu des événements récents, notamment du printemps des révoltes arabes.
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Le héros narrateur de ce nouveau roman de Dennis Cooper est un étrange personnage, amateur de jeunes gens dépressifs et cannibales. Le décor est planté ! Il nous raconte ses exploits, avec des amis qui partagent ses goûts, à l'occasion de l'acquisition qu'il vient de faire d'un château ainsi que d'un de ses jeunes occupants qui ne s'en sortira pas comme ça.
Comme à l'accoutumée avec Dennis Cooper, ce qui est raconté, aussi horrible que cela soit, reste sinon théorique du moins conserve son statut de phantasme. À aucun moment il n'y a de tentation réaliste ou naturaliste. Et dans ce livre, l'architecture, très présente et qui joue un grand rôle, de même qu'une syntaxe très bousculée qu'il a été difficile de traduire, évoque les structures mentales passablement dérangées des personnages. C'est fascinant.
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Les anciens avaient trouvé une solution au problème de l'alcool : ils l'intégraient aux rituels religieux, le considéraient comme l'incarnation d'un dieu et écartaient le comportement perturbateur comme étant le fait du dieu et non de l'adorateur. Peu à peu, grâce à la discipline du rituel, de la prière et de la théologie, le vin s'est séparé de ses origines orgiaques pour devenir avant tout une libation solennelle aux Olympiens puis à l'Eucharistie chrétienne - cette brève rencontre avec le sacré qui a pour but la réconciliation.Nous connaissons l'opinion médicale selon laquelle boire un verre ou deux par jour est bon pour la santé, ainsi que l'opinion concurrente qui veut que boire plus d'un verre ou deux nous soit fatal. Qu'il soit bon ou non pour le corps, Roger Scruton soutient que le vin, bu dans le bon état d'esprit, est incontestablement bon pour l'âme. Et la philosophie est ce qui existe de mieux pour accompagner le vin. En pensant avec le vin, vous n'apprenez pas seulement à boire en pensant mais à penser en buvant.