Dans une ville d'eaux allemande se croisent aristocrates et aventuriers venus de toute l'Europe, dont une famille de Russes désargentés, prise dans des querelles d'héritage, qui espère se refaire grâce à la roulette. Le héros, lui, commence à jouer par amour, pour sauver une jeune fille d'une dette qui l'écrase. Bientôt, il cède au vertige du casino et se perd dans le jeu... Ce roman exprime toute l'obsession morbide du joueur qui, comme le montrera Freud, se punit lui-même d'une irrationnelle culpabilité en jouant et rejouant toujours. Rédigé en même temps que Crime et Châtiment, Le Joueur est une superbe variation sur le vice et la punition.
«Je posai le revolver et le recouvris d'un journal. Je m'approchai de la porte et l'ouvris. C'était la soeur de ma femme, une veuve à la fois bonne et stupide ...
- Vassia, va la voir. Ah ! c'est affreux, dit-elle.
"Aller la voir ?" m'interrogeais-je. Aussitôt je me répondis qu'il fallait aller la voir, que probablement cela se faisait toujours. Quand un mari, comme moi, avait tué sa femme, il fallait certainement qu'il aille la voir. "Si cela se fait, il faut y aller, me dis-je. Et si c'est nécessaire j'aurai toujours le temps", songeai-je à propos de mon intention de me suicider...
- Attends, dis-je à ma belle-soeur, c'est bête d'y aller sans bottes, laisse-moi au moins mettre mes pantoufles.»
Dans Les Frères Karamazov, Dostoïevski a donné le résumé de sa carrière et de sa pensée. On y retrouve l'opposition père et fils de L'Adolescent, le duel de l'athéisme et de la sainteté des Possédés, le schéma de L'Idiot, avec le crime à la base et l'entrevue dramatique des deux rivales ; enfin et surtout l'un des frères, Aliocha, est la reprise du prince Mychkine : il s'appelait «l'Idiot» dans Ies brouillons.
Il semble même que Dostoïevski ait voulu exprimer dans les trois frères les trois aspects de sa personnalité ou les trois étapes de sa vie : Dimitri le schillérien rappelle sa période romantique, terminée aussi par le bagne ; Ivan, les années où il était près de remplacer ' la foi chrétienne par le socialisme athée ; Aliocha, son aboutissement, le retour au peuple russe et à l'orthodoxie.
Sous quelque angle qu'on les considère, Les Frères Karamazov sont un microcosme aux richesses inépuisables, le chef-d'oeuvre peut-être de Dostoïevski.
Les Pauvres Gens est le premier roman publié par Dostoïevski, celui qui le rendit d'emblée célèbre. Il a raconté comment l'idée lui en était venue : en se promenant un soir d'hiver dans Pétersbourg. Toute la ville lui apparut comme une rêverie fantastique. «C'est alors que m'apparut une autre histoire, dans quelque coin sombre, un coeur de conseiller titulaire, honnête et pur, candide et dévoué à ses chefs, et avec lui, une jeune fille, offensée et triste, et leur émouvante histoire me déchira le coeur.»Toute la littérature du XX? siècle est dans la dernière phrase : «Vous savez, je ne sais même plus ce que j'écris, je ne sais plus rien, je ne me relis même pas, je ne me corrige pas. J'écris seulement pour écrire, pour m'entretenir avec vous un peu plus longtemps...»
«Puisant la matière de son oeuvre dans l'observation de soi nourrie par l'inquiétude morale et la soif de perfection, Léon Tolstoï (1828-1910) fait du roman réaliste, construit à partir de l'évocation plastique de l'instant concret, une épreuve de vérité soumise au critère esthétique de l' authenticité. Le sujet épique de La Guerre et la Paix étend ce critère aux mécanismes de l'Histoire, celui, tragique, d'Anna Karénine aux valeurs de la société et de la civilisation contemporaines dont il devient, après la crise existentielle de 1880-1881, le dénonciateur impitoyable au nom d'un christianisme ramené à l'exigence de l'amour du prochain et du perfectionnement individuel.» Michel Aucouturier.
Anna Karénine et Résurrection sont accompagnés ici d'une partie importante de ce que l'on pourrait appeler leurs dossiers de préparation : pour Anna Karénine, les plans successifs envisagés par Tolstoï, des scènes entières qui n'ont pas été utilisées, des personnages différents ou les mêmes personnages vus tout autrement, une histoire aussi de l'élaboration du roman ; pour Résurrection, le premier brouillon achevé de l'oeuvre et quelques documents qui donneront une idée du travail accompli par Tolstoï avec la rédaction définitive.
Entre Anna Karénine et Résurrection se place la période moralisante et théologique de Tolstoï. La préface de Pierre Pascal qui ouvre ce volume en explique le sens et le développement.
Les Golovlev, publié en 1880, retrace la décadence d'une famille de grands propriétaires terriens dans la Russie du XIXe siècle. Dans ce roman à consonance autobiographique, des personnages rongés par la folie, l'avarice, l'hypocrisie et l'absence de perspectives intellectuelles deviennent peu à peu les agents de leur propre destruction.
Cette fresque d'un pessimisme sans remède est considérée comme le chef-d'oeuvre de son auteur et l'un des grands romans de la littérature russe.
Les Démons de Dostoïevski, dont certaines éditions françaises ont pour titre Les Possédés, est, selon Pierre Pascal, «le roman le plus dostoïevskien de Dostoïevski, au sens inquiétant du terme». Dans l'introduction qu'il a consacrée aux Démons, Pierre Pascal dit encore : «Ce livre s'insère profondément dans la pensée de son auteur. Il reflète l'épouvante de Dostoïevski devant l'avenir de la Russie. Il est plein comme toujours d'actualité et d'autobiographie. Nous pouvons d'autant mieux nous en rendre compte que nous en connaissons parfaitement la genèse grâce aux matériaux conservés dans les Carnets.» On trouvera ces volumineux Carnets à la suite du roman. Le présent volume enfin se clôt par un roman épistolaire de Dostoïevski : Les Pauvres Gens.
Dans ce roman-fleuve, Melnikov-Petcherski décrit avec une certaine admiration les vieux-croyants de la région de Nijni Novgorod, dissidents orthodoxes persécutés après le XVIe siècle. L'action est centrée sur la famille d'un riche marchand, Patap Maximytch, véritable patriarche, et plus encore sur le destin de ses deux filles. Le roman est peuplé de nombreux personnages hauts en couleur, d'abbés, de moines, de paysans, de marchands et de villageois, tous peints d'après nature. Mais Dans les forêts est aussi un poème de l'abondance, un hymne à l'amour, à la nature, à la joie de vivre et qui s'épanche dans des digressions lyriques aux incontestables beautés.
Lors de sa première publication en français, en 1957, Dans les forêts a été lauréat du meilleur livre étranger.
«Un des plus grands exploits d'Anna Karénine : la mise en lumière de l'aspect a-causal, incalculable, voire mystérieux, de l'acte humain.» Milan Kundera, L'Art du roman
« Chestov [...] démontre sans trêve que le système le plus serré, le rationalisme le plus universel finit toujours par buter sur l'irrationnel de la pensée humaine. Aucune des évidences ironiques, des contradictions dérisoires qui déprécient la raison ne lui échappe.
Une seule chose l'intéresse et c'est l'exception, qu'elle soit de l'histoire du coeur ou de l'esprit. À travers les expériences dostoïevskiennes du condamné à mort, les aventures exaspérées de l'esprit nietzschéen, les imprécations d'Hamlet ou l'amère aristocratie d'un Ibsen, il dépiste, éclaire et magnifie la révolte humaine contre l'irrémédiable. Il refuse ses raisons à la raison et ne commence à diriger ses pas avec décision qu'au milieu de ce désert sans couleurs où toutes les certitudes sont devenues pierres. » Albert Camus
Le Journal d'un fou traite de la frontière incertaine entre folie et raison. Le héros, Poprichtchine, est un misérable fonctionnaire pétersbourgeois appartenant au petit prolétariat de la bureaucratie russe, qui lutte contre la perte de son privilège d'homme et de son identité même.
Écrasé, banni de la «vraie vie», puni d'avoir rêvé, puni d'avoir aimé la fille de son supérieur, puni de n'avoir pas accepté sa case sur l'échiquier social et de s'être révolté, Poprichtchine s'enfuit par la porte du délire psychotique.
Jean Desailly restitue d'une manière vivante et intense les errances du petit fonctionnaire Poprichtchine, ses délires puis son basculement dans la folie et nous fait pénétrer dans le monde étangement inquiétant de Gogol.
L'écoute en classe de ce CD est autorisée par l'éditeur.
Ne vous étonnez pas si, en ouvrant ce livre, vous sentez l'odeur boueuse des fleuves majestueux, si vous entendez le bruissement du vent dans les blés, ou le chant du rossignol dans la douceur de la nuit. Une Chronique de famille, roman à nul autre pareil, grouille d'une vie qui semble échapper à son auteur, qui imprime à jamais ces pages enchantées dans l'esprit du lecteur.
Serge Aksakov (1791-1859) constitue sans nul doute l'une des figures les plus représentatives de la littérature russe du XIXe siècle. Ses grandes oeuvres (Une Chronique de famille), tout comme ses ouvrages mineurs (Souvenirs d'un pêcheur et Souvenirs d'un chasseur de la province d'Orenbourg), lui ont valu les éloges des plus grands, dont Tourguéniev. D'un style classique inspiré de Gogol, Serge Aksakov évolue rapidement vers un certain réalisme. Ses récits autobiographiques excellent dans les descriptions de la nature. Son esprit d'observation particulièrement aigu est le résultat de son amour profond pour sa terre et sa patrie. Aksakov est-il pour autant un traditionalisteoe La description minutieuse des faits quotidiens pourrait tout aussi bien l'apparenter à une certaine modernité et à des auteurs comme Marcel Proust, auquel la critique l'a souvent comparé.
Une Chronique de famille apparaît aujourd'hui comme un des sommets de la littérature russe. Sylvie Luneau, disciple de Pierre Pascal et traductrice d'exception, a dit: « Brice Parain disait que La Guerre et la Paix est un exemple unique de sérénité dans la littérature. Et c'est vrai: rien de plus apaisant que cette admirable fresque où, face à l'Histoire, les êtres et leurs problèmes retrouvent leurs véritables dimensions. L'oeuvre d'Aksakov, dont le dessein est plus modeste, participe de cette littérature du bonheur. On sent tout au long de son récit le charme envoûtant de la vie tranquille au sein de laquelle un jeune être extraordinairement attentif découvre qu'une seule journée contient des merveilles et nous en fait la confidence. » Étranger aux grandes querelles de son temps, Serge Aksakov crée une littérature bien à lui. A une époque et dans un pays où les problèmes sociaux et politiques étaient si pressants, ce fut précisément ce côté inactuel et dépaysant qui charma le public. Oubliant les susceptibilités de parti (et Dieu sait s'il y en avait à l'époque de la querelle des Slavophiles et des Occidentaux), tous le reconnurent comme un des premiers écrivains de la terre russe.
On connaît essentiellement Karel Capek comme l'inventeur du mot "robot" et comme un auteur d'ouvrages dits de "science-fiction", La Guerre des salamandres ou R.U.R.
Il a été, en réalité, non seulement le plus grand écrivain de son pays, mais l'un des plus grands écrivains du XXe siècle. Capek, en effet, n'est pas seulement un maître de l'art du récit, un créateur étourdissant de personnages, mais un poète métaphysique qui s'interroge sur la condition humaine, en scrute les béances, en dépeint la misère et le destin tragique voué à la solitude et à l'incompréhension.
L'une de ses oeuvres les plus accomplies est le poème de la mort qu'il a édifié dans la trilogie romanesque dont Une vie ordinaire, publiée en 1934, constitue le nier volet.
Dans Hordubal, le premier roman de ce cycle, Capek, selon ses propres termes, opposait " la face cachée mais véritable de l'homme et de sa vie intérieure à l'image déformée et inexacte que se font de lui-même ceux qui ne lui veulent pas de mal ".
Il montrait que notre connaissance des gens se limite très souvent à nos propres projections. Dans Le météore, Capek multipliait les points de vue. La vie d'un homme y était décrite sous plusieurs aspects différents. Chaque narrateur projetait sa propre histoire sur celle du disparu dont il essayait de reconstituer la vie. Devançant " l'école du regard ", Capek mettait l'accent sur les pièges de la subjectivité.
Dans Une vie ordinaire, l'auteur apporte la conclusion à la fois synthétique et paradoxale de la trilogie. Au regard des autres se substitue le propre regard du défunt sur lui-même, à travers les souvenirs dans lesquels, avant sa mort, il essaie de retracer l'histoire de sa vie, l'histoire d'une vie " sans histoires ". A la pluralité des regards des autres sur un être se substitue la pluralité de l'être lui-même qui se dévoile sous son propre regard.
Non seulement Capek y désigne la dimension " universelle " de l'existence la plus banale, la plus " ordinaire ", mais les doutes et les interrogations du personnage sur sa propre vie composent une polyphonie romanesque où émerge la multiplicité des facettes qui composent l'identité d'un Moi rongé par le Ça. Et derrière le petit homme gris, derrière l'apparence terne et uniforme d'un fonctionnaire quelconque, on voit transparaître peu à peu l'insondable complexité de la nature humaine.
La création littéraire est ici inhérente à l'essence même d'un homme " sans qualités ". Ici, la création littéraire n'est pas surajoutée sur le vivant, elle émane intrinsèquement du vivant et le cours lisse et plat d'une " vie ordinaire " devient l'abîme originel où se creuse sans fin le mystère de l'être. Gérard Conio