« Une gare, c'est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ».
« Lorsque j'ai entendu cette déclaration d'Emmanuel Macron, j'ai tout de suite su qu'elle ciblait les gens comme moi. Cette déclaration, la première d'une longue série, marque incontestablement le début des années Macron, les années-mépris. Pendant cinq ans, j'ai voyagé dans cette France de ceux qui ne seraient rien pour raconter les luttes des travailleurs, des pauvres, des immigrés... Pour faire entendre le courage et la dignité de ceux qui se sont opposés à ce pouvoir, dans l'espoir qu'enfin, viennent les jours heureux. » Dans ce récit à la première personne, Taha Bouhafs, journaliste d'une génération engagée, pose son regard sur un pays fracturé par les inégalités sociales et le racisme. Il revient sur son itinéraire singulier au travers duquel il dresse un portrait empathique d'une France oubliée et méprisée. La France de ceux qui ne sont rien.
La dette est devenue un outil de gouvernement de la démocratie. Si la crise sanitaire a ouvert une brèche dans les politiques qui lui sont liées, celle-ci risque vite de se refermer. Il est donc indispensable de s'armer pour bien argumenter face à ceux qui ne rêvent que de revenir à l'austérité.
Les institutions publiques de la dette et de la monnaie (Trésor et Banque centrale) opèrent aujourd'hui comme une usine à garantie de l'industrie financière privée. Mais émettre une dette qui puisse satisfaire l'appétit des investisseurs mondiaux n'est pas sans risque pour la démocratie et s'accompagne de contreparties sociales, économiques et politiques qui sont négociées, à l'ombre de la vie politique, sur les scènes marchandes d'attestation du crédit.
Le débat public se limite à une pédagogie rudimentaire : il faut payer la facture de la pandémie et, pour rembourser la dette, consentir à des sacrifices : travailler plus, augmenter les impôts sur la consommation (et non sur la fortune), renoncer à des services publics et des droits sociaux.
Pour les pouvoirs publics, il faut « cantonner » le potentiel subversif de cette crise sans précédent. Réduite à un événement exceptionnel et exogène au capitalisme financier, la pandémie serait une parenthèse circonscrite qu'il conviendrait de refermer au plus vite sans tirer aucune leçon structurelle, avant de « retourner à la normale » d'un marché qui sert de garde-fou aux États sociaux et discipline les peuples dépensiers.
L'autonomie de la recherche et celle des universités sont aujourd'hui remises en cause par le pouvoir politique, soutenu par certains intellectuels. Les récentes polémiques autour des « déviations identitaires » et du supposé caractère idéologique des sciences sociales en sont des manifestations visibles.
Cet essai interroge les notions d'engagement et de distanciation critiques en les situant dans l'histoire du temps présent, puis en envisageant trois moments où s'est posée la question de l'autonomie de l'université et des savoirs : l'affaire Dreyfus, Mai-Juin 1968, le mouvement de contestation de 2019-2020 contre la loi de programmation de la recherche.
Cette mise en perspective conduit à appréhender plus généralement le rapport entre science et valeurs : en contestant les lectures dogmatiques des énoncés classiques d'Émile Durkheim et de Max Weber, ce livre invite à repenser l'idée de neutralité et à fonder autrement l'éthique de la discussion critique.
Alors que de nouvelles approches académiques, soulignant l'imbrication des dominations, suscitent inquiétudes et rejet, les auteurs montrent qu'elles permettent de penser un universalisme pluriel pour la société d'aujourd'hui et de demain.
Partout, la colère monte ; partout, l'aspiration à un changement profond se fait entendre. Après vingt années d'engagement au coeur des mouvements sociaux, Aurélie Trouvé analyse dans ce livre comment l'exigence d'égalité réelle exprimée par les populations dominées est en train de bouleverser l'ordre établi. En s'engageant frontalement, sans le concours des médiations traditionnelles, ces dernières heurtent le vieux monde de la politique. Mais cette puissance qui se dégage du côté de l'écologie dissidente, des insurrections populaires, des luttes antipatriarcales et antiracistes et des mouvements syndicaux reste fragmentée, incapable de se constituer en véritable force politique.
L'hypothèse de ce livre est que la radicalité des prises de position actuelles est en réalité un facteur d'inclusion, et non de déliaison. Car cette radicalité est aussi celle des urgences écologiques, économiques et sociales, qui sont liées entre elles et qui requièrent de nous que nous nous hissions collectivement à leur hauteur. En 1969, à Chicago, la Rainbow Coalition rassemblait Black Panthers, Young Lords et Young Patriots. Cette alliance en apparence modeste d'organisations jusqu'alors désunies pour lutter contre la ségrégation raciale et sociale fit trembler les fondations de la démocratie bourgeoise états-unienne. Il est temps de renouer avec la stratégie du Bloc arc-en-ciel et de créer les conditions d'un exercice résolument démocratique du pouvoir politique.
Désormais classique dans le monde anglophone, ce livre est une puissante contribution à la critique de la tyrannie et de l'autoritarisme, cette facette inavouée et longtemps réprimée de notre modernité tardive.
Achille Mbembe interroge la manière dont les formations sociales issues de la colonisation s'efforcèrent, alors que les politiques néolibérales d'austérité accentuaient leur crise de légitimité, de forger un style de commandement hybride et baroque, marqué par la prédation des corps, une violence carnavalesque et une relation symbiotique entre dominants et dominés. À ces formations et à ce style de commandement, il donne le nom de postcolonie.
Si l'anthropologie, l'histoire et la science politique y ont leur place, cette ré?exion est avant tout d'ordre esthétique, car elle porte sur la stylistique du pouvoir. Elle tire son inspiration de l'écriture romanesque et de la musique africaine du dernier quart du XXe siècle. En allant à la rencontre de la création artistique et des esprits des morts, ce texte montre que dans des espaces apparemment voués au néant et à la négation gisent des possibilités insoupçonnées, celles-là mêmes qui permettent de ressusciter le langage.
Cette année de meetings qui s'ouvre nous rappelle qu'en France, l'élection présidentielle demeure pensée comme la rencontre entre un homme (providentiel) et un pays (imaginaire). C'est cet imaginaire national, aussi verrouillé que vieilli, que la Revue du Crieur se propose de défaire et de libérer de ses pesanteurs historiques et de ses crispations idéologiques. Notre dossier d'ouverture passe ainsi au crible le rapt conservateur des principes républicains, qui nous empêche de penser la République comme garante d'une liberté émancipatrice ; revient sur le refoulement de la question coloniale et la persistance de l'impérialisme hexagonal ; décrypte le fantasme de la grandeur nationale et le mythe de la « puissance » ; lève le voile, enfin, sur la grande illusion du progrès et de l'innovation, au coeur des politiques économiques de la France depuis les Trente Glorieuses.
Ce dix-neuvième numéro continue le travail d'enquête sur les idées que mène la revue depuis sa création, en proposant de retracer soixante-dix ans de réception de l'oeuvre de Simone de Beauvoir depuis la publication en 1949 du Deuxième Sexe- avec une question centrale : que reste-t-il de l'héritage de cette philosophe majeure du XXe siècle ? ; mais aussi de dresser le portrait de Bernard Rougier, universitaire reconnu et respecté, spécialiste de l'islamisme au Proche-Orient, devenu l'« éminence grise » de la politique française de lutte contre le « séparatisme » ; et encore de décrire les critiques qui visent le symbole de l'excellence de la recherche française, le CNRS.
Au sommaire également, un reportage en photos qui nous plonge dans les arcanes autoritaires du pouvoir tchétchène et les méthodes de son chef, Ramzan Kadyrov, lequel règne sur cette fédération du Caucase du Nord depuis près de quinze ans en s'appuyant sur l'islam et le sport ; ainsi qu'une déambulation dans un univers familier aux geeks de toute la planète : celui des e-girls, ces jeunes femmes qui mêlent jeux vidéo, réminiscences de Lolita, univers du manga et amour des chatons afin de se faire un nom sur les réseaux sociaux et ainsi monnayer leur popularité.
Le Triangle et l'Hexagone est un ouvrage hybride : le récit autobiographique d'une chercheuse. Au gré de multiples va-et-vient, l'autrice converse avec la grande et les petites histoires, mais également avec la tradition intellectuelle, artistique et politique de la diaspora noire/africaine. Quels sens et significations donner au corps, à l'histoire, aux arts, à la politique ?
À travers une écriture lumineuse, Maboula Soumahoro pose son regard sur sa vie, ses pérégrinations transatlantiques entre la Côte d'Ivoire des origines, la France et les États-Unis, et ses expériences les plus révélatrices afin de réfléchir à son identité de femme noire en ce début de XXIe siècle. Ce parcours, quelque peu atypique, se déploie également dans la narration d'une transfuge de classe, le récit d'une ascension sociale juchée d'embûches et d'obstacles à surmonter au sein de l'université.
Cette expérience individuelle fait écho à l'expérience collective, en mettant en lumière la banalité du racisme aujourd'hui en France, dans les domaines personnel, professionnel, intellectuel et médiatique. La violence surgit à chaque étape. Elle est parfois explicite. D'autres fois, elle se fait plus insidieuse. Alors, comment la dire ? Comment se dire ?
Depuis des décennies, l'actualité offre l'image d'un monde arabe sombrant dans la violence et le fanatisme. Comme si une malédiction frappait ces peuples, de l'interminable conflit israélo-palestinien aux guerres d'Irak et de Syrie, en passant par l'essor du jihadisme international.
Jean-Pierre Filiu remonte à l'expédition de Bonaparte en Égypte, en 1798, pour nous livrer une autre histoire des Arabes. Une histoire intimement liée à la nôtre, celle de l'Occident, de l'Europe, de la France. Une histoire faite d'expéditions militaires et de colonisations brutales, de promesses trahies et de manoeuvres diplomatiques, une histoire de soutien à des dictatures féroces ou à des régimes obscurantistes, mais tous riches en pétrole.
Cette « histoire commune » qui a fait le malheur des Arabes ne doit pas faire oublier une autre histoire, largement méconnue : une histoire d'émancipation intellectuelle, celle des « Lumières arabes » du XIXe siècle, mais aussi une histoire d'ébullition démocratique et de révoltes sociales, souvent écrasées dans le sang. Autant de tentatives pour se libérer du joug occidental et de l'oppression des despotes, afin de pouvoir, enfin, écrire sa propre histoire.
Sous la plume de Jean-Pierre Filiu, les convulsions du présent se prêtent alors à une autre lecture, remplie d'espoir : dans la tragédie, un nouveau monde arabe est en train de naître sous nos yeux.
Prix Augustin-Thierry des Rendez-vous de l'histoire de Blois 2015
« Voie royale » ou « voie de gloire », les Champs-Élysées sont l'objet de fantasmes qui les dépeignent depuis des siècles en avenue du luxe mondial, du plaisir et du pouvoir. En réalité, c'est un espace contesté, traversé par une forte conflictualité politique et sociale. La « prise » des Champs par les Gilets jaunes, de samedi en samedi, l'a plus que jamais révélé.
Face aux superlatifs et à la cohorte de noms prestigieux qui dessinent une véritable mythologie, ce livre invite à déplacer le regard et à en explorer les coulisses, à contrechamp : la pauvreté et la précarité au coeur de l'opulence, le travail invisible, jusque dans l'intimité des palaces, les arrière-salles et les scandales du Fouquet's, jusqu'à son pillage.
Recherche inédite à l'appui, fondée sur des archives foisonnantes et de nombreux entretiens, il plonge dans l'ambiguïté et la tension singulière des Champs-Élysées : avenue aristocratique et populaire, luxueuse et déviante, ostentatoire dans ses habits d'apparat, mais mise à nu parfois dans les moments de révolte et d'insurrection.
Les Champs sont un concentré de richesses, de démesure et d'inégalités. Mais aussi un lieu intensément politique, comme une métaphore du monde tel qu'il est et tel qu'il est disputé, attaqué, refusé. « La plus belle avenue du monde » serait-elle aussi la plus rebelle ?
L'anthropologie est une discipline paradoxale : science de l'altérité en ce qu'elle décrit les modes de vie et de pensée de collectifs humains auxquels n'appartient généralement pas l'ethnographe, elle est aussi une écriture du commun, qui s'attache à décrire les grands invariants et mythes fondateurs structurant les sociétés. Au XXIe siècle, les cartes ont été rebattues : peut-on continuer à penser le commun alors que ce qui nous unit n'est rien d'autre que la perspective du désastre ? Comment encore exprimer l'altérité lorsque les premiers mondes dévastés par la catastrophe écologique sont précisément ceux que les anthropologues étudient, quand eux-mêmes appartiennent aux sociétés responsables du délabrement du monde ? De quelle manière garder vivante l'anthropologie et pour quelles raisons ? Refusant de conclure à l'obsolescence d'une telle démarche, l'anthropologue Nastassja Martin répond que ce sont la langue, l'attention à la parole, le souci de traduire la diversité des êtres qui permettront de résister à la perte des mondes. « Une terre qui était belle a commencé son agonie, sous le regard de ses soeurs voltigeantes, en présence de ses fils insensés. » Les « fils insensés » du poète René Char, nous dit Nastassja Martin, se doivent désormais de protéger la dignité des vivants.
Ce livre est une enquête sur une phrase perdue. Elle fut énoncée à Paris le 13 août 1789 par Jean-Sylvain Bailly, nom aujourd'hui oublié. Il venait d'être proclamé maire de la Commune de Paris, le premier dans l'histoire de la capitale après avoir été le premier président du tiers état et de l'Assemblée nationale. « La publicité est la sauvegarde du peuple », af?rmait-elle. Autrement dit, tout ce qui est d'intérêt public doit être rendu public : tout ce qui concerne le sort du peuple, tout ce qui est fait en son nom, tout ce qui relève de sa souveraineté.
À peine proclamée, cette sentence devint l'emblème de la liberté de la presse naissante durant ce qui fut aussi une révolution du journalisme. Or, alors même qu'elle fut la première expression, dans une formulation résolument moderne, d'un droit fondamental plus que jamais actuel - le droit de savoir contre l'opacité des pouvoirs -, cette phrase est oubliée par l'histoire française. Pourquoi ?
Enquête sur cet oubli, ses mystères et ses détours, ce livre est une ré?exion sur la dimension prophétique de la proclamation de Bailly. On y comprendra que les combats des journalistes d'enquête et des lanceurs d'alerte, face à des pouvoirs arc-boutés sur les privilèges du secret, illustrent la portée toujours révolutionnaire de cette proclamation démocratique.
" face à un eichmann réel, il fallait lutter par la force des armes et, au besoin, par les armes de la ruse.
face à un eichmann de papier, il faut répondre par du papier. nous sommes quelques-uns à l'avoir fait et nous le ferons encore. ce faisant, nous ne nous plaçons pas sur le terrain oú se situe notre ennemi. nous ne le "discutons pas", nous démontons les mécanismes de ses mensonges et de ses faux, ce qui peut être méthodologiquement utile aux jeunes générations. " ces lignes, qu'écrivait en 1981 l'historien pierre vidal-naquet, gardent toute leur actualité.
robert faurisson et ceux qui nient avec lui la réalité du génocide hitlérien n'ont pas désarmé, et certains médias continuent à réserver un accueil surprenant à leurs thèses délirantes. comprendre comment une telle aberration a pu voir le jour est donc plus que jamais nécessaire. tel est le but des essais réunis dans ce livre. " face au "révisionnisme", plus efficace qu'une législation d'exception, qui a alimenté en bois le bûcher, pierre vidal-naquet a ciselé une arme parfaite : les assassins de la mémoire.
faites-le lire autour de vous, apprenez-le par coeur, pour le contenu et la méthode. " le figaro " le combat que pierre vidal-naquet livre contre les "assassins de la mémoire" est sans doute le plus difficile de ceux qu'il a eu à mener, parce que le plus douloureux. car la mémoire qu'ils assassinent, c'est la mémoire commune de notre xxe siècle et la plus insoutenable. on appréciera d'autant plus la force d'un livre qui ne cède à aucun moment aux facilités de la confidence, de l'émotion ou de l'invective [.
]. par son acuité, sa transparence, cette leçon de méthode devrait rendre confiance à tous ceux qui en venaient à se demander si le métier d'historien a encore un sens. si vous voulez savoir tout ce qui se cache derrière le "point de détail" de jean-marie le pen, lisez pierre vidal-naquet. " le nouvel observateur.
L'histoire commence le 24 septembre 1853 avec la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France de Napoléon III, et elle ne s'achèvera pas le 4 octobre 2020, quel que soit le résultat du scrutin par lequel les habitants du Caillou sont appelés, pour la seconde fois, à voter pour ou contre l'indépendance de l'île. Le processus inédit engagé par les accords de Matignon de 1988, consécutifs à la tragédie de la grotte d'Ouvéa entre les deux tours de l'élection présidentielle de cette année, puis par l'accord de Nouméa de 1998, dont le préambule reconnaît pour la première fois officiellement le fait colonial de la République française, touche à son terme.
Après une transition de trente ans, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, ainsi que voudraient la nommer les tenants de l'indépendance, est-elle prête pour la pleine souveraineté ? Les clivages entre Kanak et Caldoches, qui ont fait des dizaines de morts pendant les années 1980, ne sont pas effacés, mais ils se sont reconfigurés, laissant aujourd'hui ouvertes aussi bien la possibilité de leur dépassement que celle d'un nouvel embrasement.
Archipel géographique, mosaïque ethnique, concentré d'invention poli-tique, la Nouvelle-Calédonie est aussi un laboratoire institutionnel et un modèle d'intelligence collective qui nous parle, au présent, de ce qu'était notre passé et de ce que pourrait être notre avenir. Cette île, qui fut l'une des rares colonies de peuplement de la France et dont le peuple autochtone - les Kanak - a failli disparaître, pourrait-elle constituer la première décolonisa-tion réussie de l'État français et être, grâce aux pratiques de ce peuple, le lieu d'un autre rapport à la terre, d'une économie non capitaliste et d'une politique de long terme, pour habiter ensemble un monde postcolonial ?
Le capitalisme, une fois terrassé l'ennemi communiste en 1989, s'est retrouvé sans contre-modèle. Tout à son hubris de vainqueur, ce système effréné a adopté les tares du vaincu : bureaucratie, opacité, autoritarisme, inégalitarisme. Il ne manquait plus que la preuve par le virus : la pandémie de Covid-19 a fait office de révélateur et d'accélérateur en cette année 2020. Trente-quatre ans après Tchernobyl, qui avait signé l'arrêt d'obsolescence du « socialisme réel ».
Rongée par la financiarisation galopante, au service d'une nomenklatura échappant à l'impôt, cette économie globale de marché en est venue à saper les services publics et à désintégrer la classe moyenne, gage de démocratie. Tournant le dos aux approches keynéso-rooseveltiennes, débarrassé du devoir d'incarner un modèle attractif aux yeux de populations vivant sous un régime communiste, le système a muté. Et ce pour déboucher sur un capitalisme de surveillance propre à deux puissances laboratoires en la matière : la Chine et la Russie.
L'heure est au droit de grève traité en activité anticapitaliste, aux samizdats électroniques (Leaks en tous genres), voire aux dissidents (d'Edward Snowden à Julian Assange) ; tandis que Donald Trump prend des airs de Nicolae Ceausescu. Le tout sur fond de croyance indécrottable en un marché total - le pendant de l'État total des démocraties populaires de naguère. Trente et un ans après la chute du mur de Berlin, voici que le soviétisme s'avère stade suprême du capitalisme.
En ayant comme objectif de créer un espace de réflexion plus en prise avec la politique, plus vibrant et contrasté dans les formes d'écriture et plus varié sur le plan thématique, la Revue du Crieur est composé d'un grand essai, écrit par un intellectuel ou une intellectuelle de renom, sur une question centrale de l'actualité ; d'une enquête littéraire engagée menée par une plume célèbre ; d'une narrative non-fictionà la New Yorker, lecture-plaisir qui fera ressurgir des histoires aussi stupéfiantes que méconnues ; et enfin d'un panorama de l'actualité des idées dans le monde, sous la forme de papiers courts et dynamiques, une sorte de revue de presse boostée de la vie intellectuelle internationale.
Lobby des pesticides. Lobby du tabac. Lobbies de la chimie, de l'amiante, du sucre ou du soda. On évoque souvent les « lobbies » de façon abstraite, créatures fantastiques venues du mystérieux pays du Marché, douées de superpouvoirs corrupteurs et capables de modifier la loi à leur avantage. Pourtant, les firmes qui constituent ces lobbies ne sont pas anonymes et leur influence n'a rien de magique. Leurs dirigeants prennent en toute conscience des décisions qui vont à l'encontre de la santé publique et de la sauvegarde de l'environnement.
C'est cet univers méconnu que Stéphane Horel, grâce à des années d'enquête, nous fait découvrir dans ce livre complet et accessible. Depuis des décennies, Monsanto, Philip Morris, Exxon, Coca-Cola et des centaines d'autres firmes usent de stratégies pernicieuses afin de continuer à diffuser leurs produits nocifs, parfois mortels, et de bloquer toute réglementation. Leurs responsables mènent ainsi une entreprise de destruction de la connaissance et de l'intelligence collective, instrumentalisant la science, créant des conflits d'intérêts, entretenant le doute, disséminant leur propagande.
Dans les cercles du pouvoir, on fait peu de cas de ce détournement des politiques publiques. Mais les citoyens n'ont pas choisi d'être soumis aux projets politiques et économiques de multinationales du pétrole, du désherbant ou du biscuit. Une enquête au long cours, à lire impérativement pour savoir comment les lobbies ont capturé la démocratie et ont fait basculer notre système en « lobbytomie ».
À la suite des attentats frappant notre pays à répétition, les mots se figent - entre « islamisation » et « radicalisation » - pour désigner un phénomène perçu comme une menace : le désir d'islam des « mauvais garçons » de la Nation. Immigrés de descendance, passés par la délinquance, musulmans par croyance : tel serait le portrait robot du nouvel extrémisme made in France.
Dans cette enquête dense et sensible, nous embarquons avec Adama, Radouane, Hassan, Tarik, Marley et un fantôme dont le nom s'est brutalement imposé au monde : Amédy Coulibaly. Pour espérer comprendre la terreur, Fabien Truong fait le pari de revenir sur Amédy et sa « vie d'avant », en gagnant la confiance des vivants.
Aux bords de la ville, ces garçons apprennent à devenir des hommes en éprouvant des loyautés concurrentes. Envers leur quartier, leurs copains et les non-dits de l'histoire familiale. Mais aussi envers la Nation et son idéal méritocratique, et envers un capitalisme promouvant l'individualisme, la virilité et la compétition économique. Les contradictions affleurent, surtout quand l'économie souterraine, la police et l'absurdité du matérialisme ordinaire sont de la partie. La religion musulmane se dresse comme une dernière ressource pour s'en sortir sans trahir et combattre avec noblesse. S'engage une lente reconversion, autorisant l'introspection et le changement de direction. Mais aussi, parfois, une mise en scène spectaculaire qui transforme l'impasse en un cri de guerre.
En nous rappelant qu'apprendre à les connaître « eux », c'est finalement mieux « nous » comprendre, Loyautés radicales jette une lumière inédite sur le quotidien de ces jeunes hommes et sur les nouvelles formes de violence qui nous entourent collectivement, dans un monde où on ne naît pas guerrier, mais où on le devient.
La victoire d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle n'est pas seulement la conséquence accidentelle d'un séisme historique qui a vu l'implosion du Parti socialiste et du parti Les Républicains. C'est aussi et surtout l'aboutissement d'une histoire longue, celle de la haute fonction publique française, notamment l'Inspection des finances, qui a progressivement cessé de défendre l'intérêt général au profit de ses seuls intérêts, ceux de l'oligarchie de Bercy. Pour comprendre cette trahison des élites publiques et décrypter les débuts de ce quinquennat qui en résulte, il faut se plonger dans l'histoire de cette caste.
Dans les années 1980, d'abord, lorsqu'elle réalise grâce aux privatisations un hold-up sur une bonne partie du CAC 40 et de la vie française des affaires. Puis peu à peu s'installe, par le biais de pantouflages ou de rétro-pantouflages de plus en plus fréquents, en consanguinité constante avec le monde de la finance pour lequel elle privatise quelques-uns des postes-clés de la République.
En servant alternativement la gauche et la droite, mais en défendant perpétuellement les mêmes politiques néolibérales, elle est finalement parvenue à installer une tyrannie de la pensée unique, ruinant la notion d'alternance démocratique.
C'est cette enquête que cet essai sur la caste s'applique à mener : en dressant un méticuleux état des lieux du système oligarchique français ; en se replongeant dans les innombrables combats menés par les défenseurs de la République - en 1848, en 1936 ou encore en 1945 - afin que celle-ci dispose d'une haute fonction publique conforme à ses valeurs. L'élection de Macron atteste que ce combat démocratique, si souvent perdu, est plus urgent que jamais.
Pour son quatrième anniversaire, le Crieur fait peau neuve, ou presque. Si l'ambition est bien de proposer une nouvelle formule, celle-ci se déclinera autour d'un même noyau, qui fait l'originalité et la notoriété de la revue : des enquêtes fouillées sur le monde des idées, des éclairages singuliers sur des pratiques artistiques méconnues, des plongées sans complaisance ni connivences au coeur de la fabrique des imaginaires et de la culture, populaire ou savante.
Sur ce socle viendront se greffer des approches, des formats et des questionnements jusqu'ici inédits dans la revue.
En ayant comme objectif de créer un espace de réflexion plus en prise avec la politique, plus vibrant et contrasté dans les formes d'écriture et plus varié sur le plan thématique, le Crieur nouvelle formule sera ainsi composé d'un grand essai, écrit par un-e intellectuel-le de renom, sur une question centrale de l'actualité ; d'une enquête littéraire engagée menée par une plume célèbre ; d'une narrative non-fiction à la New Yorker, lecture-plaisir qui fera ressurgir des histoires aussi stupéfiantes que méconnues ; et enfin d'un panorama de l'actualité des idées dans le monde (livres, revues et débats importants, courants nouveaux et inventions conceptuelles), sous la forme de papiers courts et dynamiques - une sorte de revue de presse boostée de la vie intellectuelle internationale.
Cette nouvelle formule du Crieur se voudra enfin plus positive, plus centrée sur des propositions et donc moins négativement critique. Les portraits intellectuels, par exemple, se tourneront vers des figures ou des courants théoriques qui nous semblent à la fois trop méconnus et incontournables pour penser le monde actuel. Il s'agira donc, plus que jamais, de fourbir des analyses solides sur les tendances de fond de notre époque, mais aussi de les saupoudrer des piments nécessaires au plaisir de lire, d'apprendre et de transmettre.
Qu'est-ce que la mondialisation ? selon que l'on est pour ou contre, les réponses varient : intensification vertueuse des échanges et intégration des économies nationales pour les uns, accélération néfaste de la circulation des capitaux spéculatifs et uniformisation des cultures pour les autres.
Réponses partielles, souvent partiales et, finalement, trop simples. pour comprendre la mondialisation et contribuer à corriger ses dangers, une approche historique s'impose. car le phénomène, plus ancien qu'on ne croit, est indissociable de la dynamique du capitalisme, dont les formes se sont considérablement transformées depuis un siècle et demi : des configurations dominantes - internationale, multinationale, globale - se sont succédé, tout en se combinant.
C'est cette approche novatrice que présente charles-albert michalet, spécialiste reconnu de la question, dans cet essai qui rend intelligible et accessible à tous le caractère complexe de la mondialisation. il explique en quoi la " configuration globale " aujourd'hui dominante, celle de la rentabilité financière et du néo-libéralisme, est fragile. et ce que pourraient être les bases d'une " nouvelle gouvernance ", permettant d'éviter les effets pervers d'une concurrence effrénée, de freiner le développement des inégalités et de réduire l'angoisse de ceux qui ont peur d'être exclus...
Pour ce quatorzième numéro de la Revue du Crieur, nous proposons une grande traduction d'un essai de l'architecte israélien Eyal Weizman qui, accompagné d'une soixantaine de photographies, analyse les révolutions à partir de la manière dont elles se déploient spatialement. Le rond-point, comme forme urbanistique, pourrait ainsi, partout à travers le monde, favoriser la construction de collectifs politiques et, partant, des soulèvements populaires.
Ces soulèvements, Bruno Latour les scrute également attentivement à l'occasion d'un grand entretien mené par l'une de ses complices, la documentariste Carolina Miranda. Ensemble, ils décortiquent les angoisses des sociétés contemporaines, que Latour nomme la « crise de l'engendrement », et imaginent ce que pourrait être la politique à venir. L'un des symptômes de cette crise, à savoir les crispations identitaires, est exploré par Lionel Cordier, dans un texte qui porte sur le mythe boréaliste sur lequel s'appuie une grande partie de l'extrême droite européenne afin de justifier ses délires racialisants ; ou encore par Laura Raim qui interroge les ressorts de l'antisémitisme aujourd'hui.
Les lecteurs et lectrices liront aussi, dans notre nouvelle rubrique « Position », une réflexion de Norman Ajari sur l'anti-essentialisme, concept clé manié par beaucoup d'intellectuels de gauche ; un « Récit » consacré au personnage d'Eldridge Cleaver, un membre historique des Black Panther au parcours rocambolesque ; et pourront découvrir, dans le « Monde des idées », le mouvement crip, qui politise la question du handicap, une historiographie des ghettos américains ou encore un éclairage sur le philosophe Mark Fisher.
Le numéro 15 de la Revue du Crieur s'ouvre sur un texte inédit d'un personnage singulier : l'écrivaine Nathalie Quintane. Ce qu'elle décrit ici résonne fortement avec le mouvement social sans précédent qui secoue la France depuis quelques mois. Elle y évoque, pour la première fois, son métier d'enseignante du secondaire qu'elle exerce depuis plusieurs décennies et porte un diagnostic sans appel : la mort de l'Éducation nationale.
De grandes enquêtes et récits rythment également cette nouvelle livraison du Crieur : on y découvre comment l'Organisation internationale pour les migrations finance des artistes africains afin de diffuser un message sédentariste auprès de ceux et celles qui pourraient être tentés par l'émigration ; on y apprend de quelle manière la France entend retrouver une place privilégiée dans le milieu de l'art, l'un des marchés les plus opaques du monde ; on est plongé dans le New York de l'été 1977 qui a connu, pendant une nuit, une gigantesque panne d'électricité aux conséquences inattendues ; on passe de l'autre côté de la caméra pour déambuler dans les coulisses de Strip Tease, la mythique émission de documentaires.
Mais ce n'est pas tout : les lecteurs et lectrices y trouveront aussi un portrait de Renaud Camus, l'une des idoles des suprémacistes blancs ; une réflexion sur le pouvoir exercé par les adultes sur les enfants, ou comment justifier la toute-puissance des premiers par la vulnérabilité supposée des seconds ; une analyse édifiante du modèle économique d'Uber par le politologue Timothy Mitchell ; une histoire des sex-toys qui remet en question le mythe de la révolution sexuelle... Et bien plus encore !
pour nombre d'observateurs, les événements du 11 septembre 2001 confirment l'hostilité supposée millénaire entre l'orient et l'occident.
dans cet essai incisif, georges corm explique pourquoi il s'agit en réalité d'une " fracture imaginaire ", cachant de façon opportune des intérêts de puissances très profanes. remontant aux sources de ce sentiment de fossé infranchissable entre civilisation occidentale et orient " musulman ", il explique comment se sont imposés au xixe siècle les clichés d'un orient
mystique, archaïque et irrationnel et d'un occident matérialiste, rationaliste et individualiste.
sans indulgence pour les intellectuels orientaux qui s'en font l'écho symétrique, il met ainsi au jour la " laïcité en trompe l'oeil " de la pensée occidentale moderne, forgée par les valeurs religieuses, imprudemment mêlées à de fumeuses théories raciales sur la hiérarchie des peuples, des nations et des civilisations. les passions soulevées par les événements du 11 septembre, l'invasion de l'irak par les états-unis, le rebondissement du drame israélo-palestinien et la foi aveugle dans les bienfaits de la globalisation ont contribué à figer dangereusement la pensée critique.
pour l'auteur, il est temps que la pensée politique occidentale quitte un discours devenu dangereusement narcissique et qui continue de s'articuler sur des archétypes bibliques.
Dans ce dixième numéro de la Revue du crieur, un dossier spécial francophonie avec des articles d'Achille Mbembe, Alain Mabanckou, François Vergès et Nadia Yala Kisukidi.